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qui, des terreurs de l’imagination barbare et crédule, a fait des croyances. Elle qui, depuis des centaines de siècles, a produit ce miracle de persuader partout, à des masses d’hommes, armés de la toute-puissance du très grand nombre, de tendre le dos au bâton, de baiser la main qui les frappe, de se faire de l’obéissance un devoir !

C’est grâce à l’habitude, incarnée dans leur âme et dans leur chair, par des générations successives, que le pauvre, le serf, le serviteur, souffrent lâchement, et bêtement, sans se demander même s’ils n’ont pas le droit et le pouvoir de ne pas souffrir ? C’est l’habitude qui fournit cet argument déplorable que richesse et pauvreté sont inévitables, parce qu’elles ont toujours existé supprimant ainsi au cœur du malheureux toute espérance, autre que d’un ciel chimérique. Joug formé de deux arcs toujours unis : la religion et l’autorité, elle gouverne l’humanité ignorante et moutonnière, étouffe ses élans et courbe son front dans la poussière.

Ce n’est pas que l’habitude soit en toutes choses funeste. Elle fait l’éducation de l’animal domestique. Elle est précieuse à l’homme en tout ce qui concerne les exercices et les progrès matériels. C’est grâce à elle que la main, d’abord inhabile, s’instruit, s’affine, acquiert la souplesse, l’agilité, la précision, en un mot, le savoir-faire, et devient ouvrière habile et consciente de son métier. Même, l’habitude communique à certaines facultés de l’esprit des qualités analogues, qui s’impriment en lui et y demeurent, le dispensant d’efforts sans cesse renouvelés. Elle assouplit le corps à des soins et des exercices utiles ; lui donne plus de force et d’activité ; lui rend le travail moins dur ; certaines vertus plus faciles. Elle façonne les membres à ce point qu’ils en arrivent à leur tour à guider l’esprit, à formuler eux-mêmes des mouvements et des volontés, non exprimées par le maitre, et devinées par eux. Plus d’un distrait le sait bien, et sait gré à l’habitude de le conduire, sans qu’il y prenne garde, où il voulait aller ; de lui rappeler les heures de ses repas, de ses promenades ; de lui souffler l’attitude qu’il doit prendre en tel ou tel cas ; les compliments qu’il doit faire, le sourire qu’il doit mettre sur ses lèvres, tandis qu’il envoie le fâcheux au diable… De cet automatisme, il s’arrange à merveille, tout en poursuivant ses rêves… — S’il y pensait davantage, peut-être trouverait-il en revanche beaucoup à reprocher à cet intermédiaire, serviable, mais dangereux aussi. Et par exemple, d’avoir limé, à la longue, telle répugnance, trop justifiée !… d’avoir assoupi telle conviction… accepté des compromissions sans nombre !… qui autrefois l’eussent indigné, quand, plus jeune et plus enthousiaste, il aimait à en mourir la belle et noble déesse, l’éternelle Justice !… Éternelle, oui ! mais si peu vivante, hélas !… — Et il faut vivre !…

Bonne et commode servante au point de vue pratique, l’habitude,