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esclaves. L’homme n’est point le frère de l’homme ; mais son ennemi, son gibier, son instrument ou sa marchandise. La première société, le patriarcat, simple extension de la famille, avec adjonction d’errants, de fugitifs, acceptés pour leur travail, est déjà une monarchie hiérarchique.

C’est sur ce modèle que les sociétés se forment sous une oppression générale, celle de la force musculaire, d’abord ; ensuite, des forces acquises en vertu de cette force première : le butin, les dons, les terres, les rançons, les objets précieux, qui, depuis la grotte du primitif jusqu’au palais impérial, représentent le luxe et frappent de respect et d’admiration les dénués de tout bien. — Enfin, l’influence morale, composée d’énergie ou d’intrigue, de terreur ou de vaillance. Somme totale despotisme, hiérarchie. C’est ainsi que de toutes façons, sur la femme, sur les enfants, sur le peuple, sur l’indigent, sur l’esclave, et à tous les degrés : vie matérielle, travail, lois somptuaires, droits civils, cons- cience, liberté l’oppression règne, sous prétexte d’ordre. L’homme possède la femme ; le père possède l’enfant ; le maitre possède le ser- viteur et l’esclave. L’aïeul ordonne de toute sa lignée et répond de tous les siens aux Dieux, dont il est le prêtre. Au père, quand lui- même ira rejoindre ses ancêtres, succédera le fils aîné comme chef de famille. Le général possède le soldat. Les riches possèdent l’État. Nul qui puisse, hormis les grands chefs, se posséder soi-même ! Et maintenant, en face de ces lois antiques et de ces cerveaux anciens, écartez les parois qui recouvrent les cerveaux actuels, et con- sidérez attentivement les lois et les mœurs actuelles. Sauf des degrés d’intensité, vous trouverez prétentions pareilles et faits identiques. Cet égoïsme du plus fort, bientôt confondu avec celui du plus ’habile, et qui aurait pu être combattu par l’union des faibles, se voit secondé par l’habitude, loi animale par excellence, et non moins forte sur l’homme en tant qu’animal. Est-il même certain que la raison humaine puisse réagir complètement contre l’empire de l’habitude ? Large point d’interrogation, qui jusqu’ici ne se résout guère que par la négative. - L’habitude n’est pas une force active ; elle est bien plus que cela ! C’est la goutte d’eau calcaire qui lentement tombe et s’étale sur l’objet placé au-dessous d’elle, et peu à peu, qu’il soit rameau flexible, herbe, fleur ou glaise, le transforme en pierre. De même, l’habitude recouvre l’être vivant de molécules accumulées, qui l’alourdissent, ralentissent les palpitations du cœur, atténuent les vibrations du cerveau, enve- loppent et pétrifient, peu à peu, l’être tout entier. C’est l’habitude, transmise par l’hérédité et l’éducation, qui a figé dans l’humanité les visions inquiètes et folles de l’enfance humaine ;