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faire attendre. Il y aura encore des luttes à livrer ; mais celles-là seront définitives.

Oui, ce fut une longue et cruelle enfance ! Mais trois grandes causes l’expliquent l’égoïsme animal, l’habitude, et l’abaissement systématique du plus grand nombre des hommes.

L’égoïsme, dans l’être animal, ne voit, ne sent que soi-même. Ceux qui l’entourent ne sont pour lui que des formes et des objets familiers. Il les aime, ou s’en éloigne, selon qu’ils lui sont agréables ou fâcheux, utiles ou gênants. Il ne se sent point en eux, et la justice n’a pas de sens pour lui. S’il n’est pas mal doué, il obligera par plaisir et par grâce royale, mais non par juste répartition. Il trouvera tout simple d’être servi, flatté, adoré, et cette infatuation demeurera en lui, aussi longtemps qu’elle ne sera pas châtiée, éclairée surtout.

L’homme, c’est-à-dire le mâle, étant le plus fort de la famille, et comme tel chargé de la défendre, s’est trouvé naturellement investi d’un pouvoir, — autrement dit du droit d’abus. La femme, de ce fait, devient son esclave, et l’enfant sa chose. Lui, étant le plus fort, musculairement, c’est Elle, la plus faible, qui le servira, portera les fardeaux, fera tout l’ouvrage. Toute la société suivante est dans cette logique à rebours.

La famille, ainsi constituée dans les êtres et par eux, crée invinciblement la forme sociale. Les chefs s’imposent ; les faibles sont forcés de servir et de peiner à la tâche. L’inférieur devient la base et le serviteur de l’agglomération (agglomération de familles, pour la défense commune, et non pas société stipulée par contrat), comme la femme est le serf de la famille. Et partout s’effectue la parole, prononcée bien plus tard, comme une de ces vérités vécues, toujours formulées en adage : — Malheur aux vaincus ! Malheur aux faibles !

Traduction : Barbarie ! mot que nous infligeons à d’autres, ingénument, sans nous apercevoir que nous le méritons encore !

Quand viennent les lois, elles enregistrent bien plus qu’elles n’innovent. La famille légale ne sera pas amour mutuel, mais selon l’esprit régnant, joug et possession droit de vie et de mort de l’époux et du père ; autorité du frère sur la sœur ; sacrifice de l’enfant débile à sa naissance, des filles souvent. L’être humain n’a par lui-même aucun caractère sacré ; il représente seulement des intérêts d’État ou de famille. Le caprice du fort est toute la morale — et cela croit, s’étend, gigantesque ! Bien avant que la terre soit peuplée, on commence de se la disputer à main armée ; on l’engraisse de sang. Le vaincu, le faible, le pauvre, le prisonnier, quand ils ne seront plus mangés, deviendront