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la forêt, se réfugie au sommet des arbres, ou dans les rochers. La nuit, ce qu’il a d’imagination lui présente des rêves lugubres ; l’idée des morts l’agite et l’épouvante ! Où vont-ils, ceux qu’il a vus tomber, livides et sans voix ? ceux qui étaient et qu’on ne voit plus ? Et lui- même, où ira-t-il ?… Eux aussi invisibles, sans doute vont avec les Dieux ?… Dans ces pensées, la frayeur le glace. Tourmenté, malheureux, ignorant de toute justice, parfois, il est saisi de colères subites ; et si, alors, il frappe sa femelle, s’il tue son petit, que faire ?… Après tout, il est le plus fort,… il est le maître ! Plus tard, il les appellera vainement… et peut-être pleurera-t-il ?… Mais se souviendra-t-il de ne plus frapper ? Non ! farouche et sauvage, entièrement dominé par ses passions, il se rue sur les faibles !… Sûrement, c’est ainsi que se vengent les Dieux !

À peine en dehors de l’animalité, ou plutôt encore tout plein d’elle, l’homme ne peut être qu’esclave ou tyran. Il naît Un, monarque, seul en soi, ne sentant et ne comprenant que lui-même, n’ayant conscience qu’à peine de la souffrance de son adversaire, si ce n’est par la volupté qu’il éprouve à l’écraser ! Sans doute, il pressent vaguement que cet obstacle odieux désire, souffre ou jouit, à peu près comme lui-même ? Toutefois, il n’en est pas bien sûr… Y pense-t-il même ?… Et d’ailleurs, que lui importe ?…

Chez l’homme comme chez l’animal, c’est tout d’abord la force musculaire qui donne l’empire. Départ fatal, mais inévitable. L’inéga- lité des lois naturelles dans la famille accroît l’intensité du fait am- biant : né protecteur obligé de la femelle pendant les épreuves de la maternité, et de même éducateur de l’incapacité enfantine, le mâle, de ce fait, s’établit monarque, à la façon dont toutes les monarchies sub- séquentes comprendront leur charge ; et il prolongera le pouvoir pa- ternel autant qu’il pourra, jusqu’aux dernières limites de sa propre vieillesse…

Le voici ! le législateur supposé que cherche l’histoire ! C’est ce Moi humain, brutal, égoïste, inconscient, qui, naturellement, pose la tyrannie à la base de l’organisation sociale, par la famille. C’est de cette façon que s’établit le concert, auquel une assemblée moins par- tiale eût difficilement abouti, et par lequel on s’entendit sans parler.

Ceux qui s’agitent autour du primitif, ne sont guère à ses yeux que de simples formes, agréables ou gênantes ; des objets, auxquels il commande s’il est plus fort qu’eux ; auxquels il obéit, s’il est trop faible pour leur résister. Il ne se sent point en eux-moins peut-être qu’en l’animal domestique, dont l’obéissance lui plaît et le touche. L’esclavage existait bien avant les lois. Elles n’eurent qu’à le régler.

C’est de ce point que date la rupture de l’être humain — non pas avec l’animalité, qui reste condition de sa vie, mais avec l’instinct