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LA POLITIQUE CANADIENNE


Dans son immortel ouvrage L’Esprit des Lois Montesquieu écrit : « La tyrannie d’un prince ne met pas un État plus près de sa perte que l’indifférence pour le bien commun qu’y met une République ».

Cet aphorisme, me semble-t-il, met bien en lumière le danger de l’indifférentisme politique dans une démocratie. Plus qu’en aucun temps, en notre pays, c’est le devoir de tous de donner le plus d’attention à la politique, car jamais elle n’a tenu une aussi grande place dans notre vie nationale.

Le suffrage s’étend même aux femmes, et à vrai dire, il n’y a plus que les enfants, à qui la politique ne dit encore rien. Aussi bien que l’homme la femme doit se renseigner puisqu’elle est investie, comme lui du droit d’électeur et même du droit de candidat. Et je ne sache pas qu’il y ait de plus sûr moyeu de s’instruire que celui de lire les revues et les journaux ; mais tandis que le journal prêche, la plupart du temps, la doctrine de l’un ou de l’autre des partis, la revue, elle, s’applique à exposer les idées des uns et des autres, à les juger avec la plus stricte impartialité, afin d’éclairer ses lecteurs.

Tel sera le rôle que je compte tenir en inaugurant cette chronique mensuelle. Débarrassé de mes attaches à un parti, je m’efforcerai d’apprécier comme ils le méritent les divers groupements qui se partagent le suffrage universel.

Je ne me pose pas en censeur infaillible ; mais en chroniqueur conscient de sa responsabilité : à chacun je distribuerai les louanges qu’il aura gagnées comme je lui adresserai les blâmes qu’il aura encourus. Ce sera au lecteur de juger si je remplis bien ma fonction.

C’est à une des époques les plus graves de notre histoire nationale que nous sommes arrivés. Chez nous, comme dans le monde entier, le grand cataclysme dont nous nous imaginons apercevoir encore les fulgurants éclairs et ressentir les violentes secousses, a amené le plus grand bouleversement et produit la plus grande désorganisation. Il n’a pas épargné les partis politiques plus que les autres groupes qui constituent la nation, et l’homme qui s’arrête aujourd’hui à contempler ce qui se passe dans le domaine politique ne peut s’empêcher de voir la crise qui nous menace.

À l’heure qu’il est trois partis au parlement rallient, les sympathies des représentants du peuple, ce sont les partis unioniste, libéral et conservateur. Ce n’est toutefois pas à la chambre qu’on découvre bien ce qui sépare ces trois groupes En chambre le parti unioniste parait encore faire bloc avec le parti conservateur ; il n’y a qu’entre le parti unioniste et le parti libéral qu’on découvre la démarcation. Ils semblent être aux antipodes, et tandis que l’un parait s’inspirer de l’absolutisme que la guerre a mis en vogue pour le gouvernement des peuples afin d’assurer l’écrasement même de l’absolutisme, l’autre le parti libéral, veut revenir nu gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple, ce qui est la thèse démocratique.

C’est à l’issue de la session, quand les députés auront repris le chemin de leur comté respectif qu’on verra se produire, vraisemblablement, la désagrégation du bloc unioniste. Car un peu partout dans l’ouest comme dans l’est le parti conservateur semble vouloir se réorganiser. Déjà, en août dernier, à Winnipeg, ce parti a jeté les bases de cette réorganisation, dont le chef désigné est M. Robert Rogers. ancien collègue du premier ministre actuel ; dans le Québec il y a quelques semaines une réunion préliminaire était convoquée dans le même but par M. Arthur Sauvé, chef de l’opposition conservatrice dans notre province ; tandis que le 22 octobre à St-Jean du Nouveau-Brunswick. M. Lotts, député conservateur à la législature de cette province prêchait lui aussi la même croisade. Dans Ontario, nombreux sont aussi ceux qui veulent revenir au plus tôt à ce que M. Cousincau avait appelé “les portes ligues de parti.”

On se trompe donc si on croit que le parti unioniste a absorbé pour toujours l’ancien parti des Cartier et des MacDonald. Il est vrai qu’à la veille de la session, sir Robert Borden a bien voulu consolider le parti unioniste, mais est-ce à dire qu’il y est parvenu ? Le croire ce serait se méprendre fort, car ici comme en Angleterre, comme en France, comme en Italie, comme en Belgique, les partis de coalition sont voués à la dissolution. Peut-être tardera-t-elle un peu plus à se produire chez nous, mais elle viendra, parce qu’elle est inévitable.

D’ailleurs qui pourrait garantir que la plus parfaite union règne au sein du même de l’unionisme ? Sans vivre dans le secret des dieux on s’aperçoit bien que des dissensions régnent dans notre Olympe politique, et qu’un jour elles amèneront la désagréagation du bloc.

Et puis, formée pour gagner la guerre la coalition ne parait plus avoir de raison d’être quand la démobilisation sera terminée et que la paix aura été proclamée. A trop vouloir s’entêter à parler de guerre et à prolonger l’état de guerre, qui sait si ce n’est pas au parti qui a fait la guerre, que la guerre sera déclarée ?

Tel est bien le sentiment qui s’exprime dans la presse canadienne, même dans la presse qui a donné son appui à la coalition, et ce sentiment se manifeste de plus en plus dans le peuple, qui réclame un nouveau régime.

Est-ce au parti libéral que le peuple se rallierait ? On ne saurait vraiment pas répondre à cette question en ce moment-ci. Pour peu qu’on observe on découvre vite que l’opinion publique ne sait pas bonnement où aller : elle est comme désorientée.

Cela s’explique. Elle ne manifeste aucune sympathie au parti unioniste, qu’elle tient responsable de toutes les épreuves dont le peuple est assailli ; elle se méfie du parti conservateur, et repousse toutes ses avances. Voyez ce qui se passe dans le pays. Il ne reste plus une législature à majorité conservatrice ; le dernier survivant de l’ancien conservatisme. le gouvernement Hearst, vient d’être balayé, comme l’avait été en juillet le gouvernement conservateur de l’Ile du Prince Edouard.

Toutes ces défaites ne sont pas encore la preuve du ralliement populaire autour du libéralisme, car on vient de le voir en Ontario, le parti libéral n’a pas été beaucoup plus heureux que le parti conservateur. Cette abjuration politique de vieilles provinces qui furent des chateaux-forts du