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Oublions ! oublions la jeunesse fleurie,
Et le toit paternel et les douces amours !
La gloire et l'amitié, le sol de la patrie
Et les songes menteurs de nos premiers beaux jours !

Nos biens étaient d'une heure, et l'âme est infinie !
Le cœur de l'homme est plein d'un mensonge odieux !
L'amour est vanité, l'orgueil blasphème et nie !
La patrie est auprès de notre père aux cieux !

Étouffons dans nos cœurs les voluptés infâmes !
Vers la gloire des deux éternels, déployons
L'extase aux ailes d'or sous la dent des lions...
Au désert, au désert, les hommes et les femmes !

Seigneur ! chargé d'opprobre et couronné d'affronts,
Vous gravîtes, pieds nus, la cime du supplice...
Laissez-nous, ô Seigneur, tarir votre calice !
Qu'une épine sanglante auréole nos fronts !

Comme vous, sans défense, errants et misérables,
Le mépris nous est doux, l'outrage nous est cher !
Multipliez en nous vos douleurs adorables.
D'un soleil dévorant desséchez notre chair !

O morne solitude, ô grande mer de sables,
Où dorment enfouis les dieux et les cités,
Assouvis nos regards de choses périssables,
Balaie à tous les vents les vieilles vanités !

Ouvre ton sein de flamme aux transfuges du monde...
Au désert, au désert ! voici les temps prédits,
Voici le dernier jour de la matière immonde,
Et la mort va l'étreindre entre ses bras maudits !

Vieillards, enfants, fuyons vers les sables torrides...
De l'heure où tout fut fait épaississant l'oubli,
Sur le sombre univers l'âge a creusé ses rides ;
L'univers au néant s'écroule enseveli !