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cabinet de son père. Il comprit enfin qu’elle l’évitait.

Alors il lui parla gravement, la suppliant de lui dire si elle était malade, ou bien si elle avait des scrupules qui lui ôtaient sa joie et sa tranquillité.

Elle se mit à pleurer sans répondre. Pourtant à partir de ce moment elle rechercha moins la solitude et se tint plus souvent auprès de son père. Mais sa voix avait perdu son timbre joyeux, et ses yeux restaient sans éclat. Le pasteur alarmé fit appeler le médecin.

— Dites-moi, cher pasteur, dit le vieux docteur après avoir examiné Else votre fille n’aurait-elle pas eu quelque vive émotion, quelque peine secrète, quelque… chagrin d’amour, pour dire le mot ?

Peu s’en fallut que le pasteur ne se sentît froissé. Supposer que sa fille, son Else, dont le cœur lui était comme un livre ouvert, pût lui avoir caché un chagrin de cette nature, qu’elle pût avoir un chagrin de cette nature avec l’éducation qu’il lui avait donnée, être de ces jeunes filles dont la tête est remplie de rêves romanesques ! D’ailleurs, elle ne l’avait pas quitté, comment aurait-il été possible…

— Non, non, cher docteur ! Le diagnostic vous fait vraiment peu d’honneur, conclut le pasteur avec son tranquille sourire.

Après la visite du médecin, Else se surveilla plus attentivement, et redoubla de précautions pour avoir le même air qu’autrefois. Car personne ne devait soupçonner ce qui était arrivé, — qu’un homme étranger l’avait prise dans ses bras et lui avait donné des baisers — beaucoup de baisers.

Chaque fois que cette scène se représentait à son souvenir, elle devenait pourpre de honte. Ce qui lui était arrivé, n’était-ce pas la pire des ignominies ? N’était-elle pas plus coupable que ces malheureuses filles dont la chute lui avait toujours fait instinctivement tant d’horreur ? Ah ! si elle avait pu interroger quelqu’un,