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remplir cette jeune tête d’idées pacifiques au lieu d’images des batailles et des cruautés de nos ancêtres. Mais se rappelant alors que lui aussi avait appris les mêmes choses dans son enfance, et qu’il n’en était pas moins devenu un homme de paix, il reprenait confiance.

— Enfin, disait-il, tout est dans les mains du Seigneur, et il se remettait à la préparation de son sermon.

— Tu oublies donc tout à fait le déjeuner aujourd’hui, père ? dit une jeune fille à tête blonde qui se montra dans l’embrasure de la porte.

— Tu as raison, Else, je suis en retard, répondit le pasteur, qui la suivit dans la salle à manger.

Il aurait été difficile de trouver deux êtres mieux d’accord dans leurs idées et leurs sentiments et plus intimement unis que ce père et cette fille de dix-huit ans. Else avait grandi sans mère. Mais il y avait tant de douceur et de délicatesse féminine chez son père, que la jeune fille éprouvait de cette perte plutôt une mélancolique tristesse que la douleur d’un deuil irréparable.

Et à mesure qu’elle grandissait, elle remplissait de plus en plus pour le pasteur le vide que lui avait laissé la mort de sa femme. Toute sa tendresse mêlée à tant de deuil et de regrets, il l’avait donnée à cette jeune âme féminine qui se développait dans ses mains, et sa douleur s’adoucissait, et le calme était rentré dans son cœur.

Aussi était-il presque une mère pour elle. À son point de vue tranquille et pur il lui apprenait connaître la vie. Et c’était la meilleure partie de sa tâche, de protéger cette jeune âme et de la défendre contre tout ce qu’il y a d’impur et de troublé dans le monde, qui le rend si difficile, si dangereux à traverser.

Lorsque du haut de la colline qui dominait le pres-