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CONTES

Les deux déménageurs, qui, après tout, avaient le vin très doux, rétablirent dans la demeure nouvelle tout le confort qu’ils avaient détruit dans l’ancienne. Une bougie, fixée sur le marbre trop bien imité de la cheminée et reflétée dans le halo d’une glace qui en avait vu bien d’autres, éclaira leur travail habituel. Ils revissèrent le lit, déballèrent la toilette et calèrent la commode dans son coin ; puis, en personnes qui s’y connaissent, ils distribuèrent les chaises et pendirent au mur un agrandissement photographique rehaussé de fusain, image très ressemblante d’un défunt indifférent.

Il ne restait plus que le piano, confié en bas à la vigilance du cheval triste. C’était un piano droit, destiné depuis les origines à enseigner des airs de mazurka au petit commerce parisien. Des passants attardés et les clients du bar voisin regardaient le cheval et le piano à la clarté d’un réverbère : « Il faut être musicien pour déménager à pareille heure ! Ces artistes ne peuvent jamais faire comme les autres. »

Saisi enfin par quatre bras vigoureux, le piano, heurté contre le bord du trottoir, rendit un son bien en harmonie avec cette soirée d’automne et qui pénétra profondément dans l’âme de Mlle Céréda. Mais à peine disparus sous les portes de l’immeuble, les porteurs débraillés du correct instrument de musique réapparurent avec leur fardeau, pour expliquer, non sans quelque verbiage, que, vu le peu d’ampleur des tournants de l’escalier, il leur serait impossible de venir à bout de leur entreprise par les moyens ordinaires.

Cependant la pluie, que les journaux du matin avaient annoncée à leur quatrième page, en même temps que la fête à souhaiter, se décida brusquement. Il convenait donc de prendre un parti au plus vite. Chacun donna son avis et prodigua ses conseils. Seule, Mlle Céréda ne fut pas écoutée. On s’en remit, en définitive, à l’opinion du concierge, dont la compétence était généralement reconnue