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CONTES

craignent plus ni bonace, ni saute de vent, ni trombe, ni cyclone, ni typhon. »

Le City of Benares, dans sa naïveté de navire en bois, partit ainsi à la recherche du bout du monde.

On ne peut préciser combien de temps il poursuivit sa chimère et joua le rôle de « Grand Voltigeur hollandais », hors de tous chemins battus de la mer. Il naviguait sur ses basses voiles, l’usure ayant détruit les parties élevées de la mâture. Sa carène, alourdie peu à peu, s’enfonçait dans les flots presque jusqu’au pavois. Il était plus délaissé que les ruines dont il portait le nom prédestiné. Aucun requin ne le suivait.

Quelquefois, pourtant, des oiseaux marins se reposaient sur son pont maculé de leur fiente. Mais ni les eiders des régions polaires, qui établissent leur précaire demeure sur les glaçons, ni les frégates qui dorment en planant, ni les cormorans qui pêchent à la nage soulevés comme des galères par les grandes vagues d’équinoxe, ni les goélands, dont le vol annonce l’orage, ni les mouettes, dont l’aile, sur les tableaux de marine, a toujours la forme d’un accent circonflexe, ni même les pétrels, qui sont fous, n’auraient choisi pour y déposer leur couvée ce point mouvant sur l’infini.

Après qu’il eut croisé en vue de bien des terres ignorées, dont aucun livre de bord ne porte la mention et qu’il eut traversé des océans verts, des mers bleues, violettes, grises ou blanches, le City of Benares conçut cette notion désolante, par laquelle commence l’instruction rationnelle des enfants des hommes sur les bancs de l’école primaire. À force de tourner autour du monde il se rendit compte de la vanité de ses recherches, et que la terre n’est qu’une boule, légèrement aplatie — dit-on — aux pôles.


Dès lors il ne lui restait plus qu’à choisir sa mort, seul moyen de reculer les bornes d’une planète trop limitée.

Au large des îles de la Sonde, sur une mer très calme,