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CONTES ET POÈMES[1]


CITY OF BENARES


Il arriva que le City of Benares, trois-mâts franc, devint un jour son seul maître après Dieu sous le ciel et sur la mer.

L’aventure qui lui valut, sans autre mal, de perdre son équipage, n’a pas laissé de traces dans la mémoire des hommes.

On peut supposer (mais rien n’est moins certain) que les matelots et le subrécargue, descendus avec des barils et des outres, pour faire de l’eau sur la côte d’une île d’Océanie, furent réduits en servitude par des peuplades fanatiques et tinrent lieu d’holocauste à quelque divinité de bois peint. Mais comment expliquer que ni le capitaine (il a laissé, paraît-il, une vieille mère aveugle et sans ressources dans un faubourg de Londres), ni le mousse (un enfant trouvé), ni même Sam (le cuisinier nègre et hilare, originaire du sud de l’État de Virginie), ne furent jamais signalés dans aucun pays, en rade d’aucun port, en partance sur aucun navire, ivres morts dans aucun cabaret du monde entier ? Le cas, unique dans les annales de la marine marchande, est jusqu’ici resté voilé du plus impénétrable mystère.

Le City of Benares n’était pas fait, quoi qu’il en soit, pour représenter, durant une existence, les intérêts de

  1. Les contes et poèmes de Jean de la Ville de Mirmont que nous publions ont déjà été publiés, mais dans une éditions si limitée qu’ils sont quasiment inédits.