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DE MARIE LENÉRU

et quel besoin de la présence !… Elle qui n’avait pas les bruits rassurants de ce monde et l’intimité des choses quotidiennes, elle s’attacha à l’homme comme au seul être familier.

Heureusement, elle était près de la fenêtre, et le vieillard aussi aimait la chaleur du soleil. Quand il parlait avec des visiteurs et qu’il posait un coude au socle de la Dormeuse, elle soupçonnait très bien le mystère articulé des voix, et les intonations humaines s’interprétaient si vives, le sens émotionnel en était si tôt découvert que, pour la première fois, elle eut un doute, et la pauvre statue, dont les lèvres instinctivement vibraient, se dit qu’elle pourrait bien être muette. Elle fit un grand progrès ce jour-là, car la souffrance n’est pas une petite découverte, et la première douleur humaine — ceci est bien affaire de dates — fut de ne pas encore s’exprimer. Sans doute elle ignorait qu’elle n’entendait point, mais ne pas entendre, c’est d’abord se taire.

À ceux qui s’étonneraient de l’éveil de cette pensée ignorant tout des langues humaines, qui découvrait et sentait, privée du guide bavard des mots, je répondrai que la parole intérieure est la plus inutile, que si nous pensions avant d’avoir fait nos phrases, comment irions-nous vers elles ?

Seulement la vie devenait fatigante. Quel effort et quelle tension pour répondre au calcul impérieux des sensations répétées, combinées, semblables et dissemblables, et sans la commode algèbre des mots : tout le travail d’une âme en quête de la vie, qui doit refaire à elle seule le chemin d’une humanité ! Elle connut la grande tentation des statues aux yeux clos : « Je veux dormir et veux être de marbre ».

Mais la vie, une fois conquise, ne se perd plus que dans la mort, et qu’une statue puisse être vivante ; la chose encore s’est vue ; seulement on a oublié de nous dire si, en pareil cas, elles deviennent mortelles.