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LA VIVANTE

l’on n’a rien expliqué, et c’était déjà toute la science et toute la poésie humaine que l’application de cette dormeuse à comprendre et à ressentir.

Elle ne s’ennuyait pas, car jamais elle ne pensait : je voudrais. Comment aurait-elle su qu’en elle, émerveillée d’être vivante, il y avait déjà tant de morts. Savait-elle que les yeux s’ouvrent, que les oreilles tressaillent, que les narines aspirent et que les lèvres boivent ? Les hommes pleurent-ils les organes prodigieux qui leur manquent les sens inconnus qui tirent de ce monde les joies auprès desquelles leur lumière et leurs sons ne seraient que d’informes et superficiels tâtonnements…

Mais la plus grande aventure n’était pas arrivée. Jusqu’ici la statue, à l’étonnement près, qui est le propre de l’homme, n’avait guère eu que la vie des créatures primaires, bornées à leurs rapports cosmiques : la terre et le soleil, le soleil et la terre.

Or, un jour, la Dormeuse trembla ; ce n’était plus l’orage, et pourtant, la terre s’émouvait. Ce fut net, pesant et suivi ; rien de l’incohérence, des rabâchements de la tempête ; et d’une précision telle qu’elle connut la première frayeur. Elle avait deviné l’intention, reconnu le mouvement volontaire, comme l’Abandonnée dans son île, découvert un pas humain.

Cela vint tout près d’elle. Le vieux sculpteur, qui rentrait de loin, avait sans doute ses chagrins de créature complète. Par enfantillage de souffrant, il prit la main de sa statue et la serra comme la main d’une vraie femme. Elle était stupéfaite. Petite chose neuve et froide, comment aurait-elle compris ce qu’on lui demandait ? Ignorant la réponse émouvante des regards et la cordialité des voix humaines, elle était dure, farouche et sereine. Elle n’apprit que lentement à aimer son sculpteur. Il fallut qu’il revînt souvent, qu’avec ses lèvres, son vieux front, et même ses larmes, il enseignât cette élève en humanité. Mais alors quel changement,