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DE MARIE LENÉRU

Elle ne voulut plus de sommeil. Toute au jouet merveilleux de ses nerfs nouveaux, elle sentit, elle sentit comme on s’enivre, éperdument. Une chose indicible habitait cette pierre, ce qui, proprement, est une âme : l’attention. La statue attentive écoutait de toute sa chair frémissante, de son jeune cœur imitatif, les grands coups que frappe la Vie.

Cela dura vingt-quatre heures. Ensuite, il se fit un silence et plus rien ne trembla. La statue fut si seule et immobile dans son marbre qu’elle pensa retourner à la mort. Mais, après le premier bonheur, une confiance était née, elle espéra dans le nouvel émoi. De toute la patience des êtres qui montent à la Vie, elle attendit.

Et le miracle se renouvela. Le jour qui vint après cet orage, un grand jour de juin fut brillant et brûlant. La statue, qui ne dormait guère, connut, dès l’aurore, un nouveau tressaillement. Cela ne ressemblait pas à l’autre. Elle n’eût pas découvert, comme pendant l’orage, qu’elle avait un cœur et des membres vivants, mais haletante, elle subissait la douceur posée sur son front. Elle s’étonnait qu’on pût ressentir du calme et, quand la chaleur monta, glissa du front sur la joue, baignant d’heure en heure un peu plus du corps attentif, la nouvelle vivante apprenait déjà tous les pourquois des hommes, elle réfléchissait. Quand le soleil eut atteint midi, il fit un pas vers le couchant. Pendant sa retraite de sept heures, elle le sentit passer, de son visage refroidi à la pointe nue de son pied rivé, et l’immobile apprit ainsi le mouvement et l’espace, et le temps, et les jours, et les saisons.

Elle apprit encore bien des choses, car l’infini du monde est dans toute sensation, et il faut l’incroyable inattention des hommes pour imaginer l’épuisement d’un prodige. Mais une statue aux yeux clos, aux oreilles non distraites, une statue qui ne bouge pas… Elle était très intelligente comme tous ceux qui sont seuls, à qui