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LA VIVANTE



                    À Miss E. K.
Or, qui dira ce qu’est la vie ?


Il était maintenant un vieux sculpteur.

Ce n’est pas très sûr qu’il eût du talent, mais on lui achetait ses statues et bien qu’on lui eût parlé plusieurs fois de la Dormeuse, il ne tenait pas à la vendre.

La Dormeuse était une statue d’albâtre, grandeur nature ; mais le modèle, sans doute, était petit ou très jeune, quatorze ou quinze ans. On ne sait pourquoi elle était vêtue, et dormait sur le côté, la joue contre terre. Le bras d’où cette joue avait glissé s’allongeait un peu ; la main, elle aussi, pressait le tuf rugueux du marbre. L’autre bras suivait les belles lignes de la statue couchée, et la paume entr’ouverte semblait attendre et prévoir un réveil.

Il y avait trois ans que le marbre endormi plaisait, dans ce coin au vieux sculpteur. Il le regardait en fumant ses pipes et, quand il passait, les doigts laborieux de l’ouvrier flattaient lentement le bon ouvrage, comme on caresse pieusement, quand on est seul, l’échine mystérieuse des bêtes.

Or, qui dira ce qu’est la Vie ? Comment se donne et se reçoit la palpitation première ? La boue sanglante est elle seule assez docile et malléable pour garder les frissons des empreintes spirituelles d’une âme ? Mais les bois vivent, le dur cœur des chênes connaît l’automne