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L’HÉROÏQUE DESTINÉE

de vue opposé au mien. Elle prenait le second mariage conclu pour le bonheur des parents, et hostile ou, du moins, étranger à la pensée des enfants.

« J’ai été frappée de la situation inverse : le second mariage, si souvent conclu en vue des enfants et du bien-être domestique, le second mariage de raison. Et j’ai songé aux femmes qui s’efforcent de se dévouer ainsi au mari et aux enfants d’une autre, et aux hommes qui réclament ce dévouement. Et comme tout s’agrège et s’étend, alors qu’on presse étroitement un sujet, peut-être ai-je été amenée à écrire une-pièce sur l’oubli ? J’ai choisi l’inscription du tombeau de Rachel pour épigraphe à cette pièce, où tout le drame a lieu pour et contre ceux qui ne sont plus !

« Il m’a semblé que la seconde femme, la belle-mère charmante, était plus dangereuse et, le dirai-je ? plus contre-nature que la marâtre, et que rien n’est émouvant comme le sort de ces femmes, souvent jeunes encore, appelées à dispenser le bien-être et non le bonheur, le dévouement et non l’amour. Le mariage sans amour est toujours aussi faux, qu’il soit dû à la vénalité ou à l’abnégation. D’ailleurs la vie commune est un lien trop fort, et pour peu que les êtres méritent l’amour ils ne peuvent pas se le refuser. Aussi ma pièce « finit bien » et c’est précisément ce que j’ai trouvé tragique. Cet oubli complet, ce dépouillement absolu d’une morte à qui l’on voulait obéir, cette substitution d’une femme à l’autre dans l’âme du mari et des enfants… si bien que je ne sais plus ce que veut dire mon titre, ce « Bonheur des autres », s’il s’agit vraiment de le faire ou de la prendre ? »

Questions brûlantes parce qu’elles touchent au plus intime de la vie ! Marie Lenéru les pose avec hardiesse. On reconnaît sa volonté tout d’une pièce d’aller à l’extrême. Combien néfastes, en même temps que bien intentionnés, lui paraissent ceux qui méconnaissent les exi-