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L’HÉROÏQUE DESTINÉE

pour rentrer dans l’humanité. Elles viennent d’infiniment loin, de domaines qui nous sont mille fois plus fermés que n’ont été pour elles les nôtres : « Quelquefois l’on dirait que la substance même de ma chair est autant de regards épiant un monde chaque jour nouveau », écrit Ellen Keller. Et cette autre phrase qui nous ouvre d’étranges horizons : « Il ne m’appartient pas de dire si nous voyons mieux avec la main qu’avec l’œil. »

Jeune fille émouvante qui a tenu toutes les fleurs dans ses mains, longuement caressé les lignes des statues, et qui, après une représentation, touchant le visage frémissant d’Irving, retrouvait de la passion les traces encore chaudes ! Maurice de Guérin, tendre et romantique, étreignant une tige de lilas, cherchait dans le bruit doux de son feuillage un murmure de consolation. Ellen Keller, devant un arbre, le front sur l’écorce. écoute avec une application poignante ce que va lui apprendre la vibration secrète de la vie dans ce tronc baigné de soleil. Son état d’âme, seul peut-être Beethoven dans une mélodie surhumaine, eût pu l’exprimer.

En analysant le cas de cette sœur admirable d’ingéniosité et d’intelligence, Marie Lenéru ne hausse pas le ton. Son émotion, c’est dans le marbre de la Vivante qu’elle l’a enfermée. La dormeuse qu’on aurait pu croire glacée en a tressailli. Initiation pathétique qui est aussi sa propre histoire ! À sa longue méditation des mystères de la vie et de la douleur, Marie Lenéru doit ces accents dont la pierre même est soulevée. Toute sa vie est concentrée en ces quelques pages comme l’aveuglante lumière au cœur du diamant.

En ces années de jeunesse où elle écrivait la Vivante, Marie Lenéru cherchait sa voie. Un singulier essai, Saint-Just, publié dix-sept ans plus tard, un roman qui n’a