Page:La Revue hebdomadaire, année 34, tome 1, numéros 1-5, 1925.pdf/437

Cette page a été validée par deux contributeurs.
411
DE MARIE LENÉRU

La nouvelle la Vivante, qu’on va lire tout-à-l’heure, marque le premier succès de Marie Lenéru. Envoyées en 1908 au concours littéraire du Journal, ces quelques pages causèrent une sorte de saisissement[1]. Le prix leur fut décerné. Presque en même temps, les Affranchis, sa première pièce, obtenaient d’une manière éclatante le prix Vie Heureuse. Avec Catulle Mendès, Fernand Gregh et Rachilde furent les premiers à acclamer l’inconnue qu’était alors cette jeune fille.

La Vivante est dédiée à miss Ellen Keller, à laquelle Marie Lenéru venait de consacrer, dans le Mercure de France, un remarquable essai qui mériterait d’être publié en volume. Ce fut elle, je crois, qui fit connaître en France le cas singulier de cette Américaine sourde-muette-aveugle, devenue à vingt-huit ans un écrivain célèbre, et si bien réconciliée avec l’existence qu’elle a donné pour épigraphe à ses souvenirs : « Je voudrais vivre seize cents ans. »

Il n’est pas douteux que la Vivante soit le symbole de cette destinée. L’enfant de marbre, couchée, gracieuse et inerte, la joue contre terre, tend aussi une paume entr’ouverte qui semble attendre l’inconnu. Marie Lenéru, penchée sur elle, suscitant peu à peu le grand frémissement du réveil mental, écoute battre un cœur délivré dans cette forme charmante.

Mais elle a trop de force dans l’esprit pour limiter cette expérience, l’isoler du monde. Une Ellen Keller, une Marie Lenéru n’ont fait ce chemin prodigieux que

  1. La haute mémoire et la destinée sitôt interrompue de Marie Lenéru nous paraissent excuser ou plutôt mériter la demi-infraction au principe de l’inédit que nous commettons en publiant ci-après cette nouvelle, oubliée depuis seize ans dans la collection du Journal, et qui n’a pas encore été recueillie en volume.