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L’HÉROÏQUE DESTINÉE

à la catastrophe : sans y croire d’abord, puis avec une volonté impitoyable de se ressaisir, de se reprendre au malheur : toujours sereine en apparence, jamais résignée Il y eut dans son âme un drame, qui dura autant qu’elle, un drame refoulé, intérieur, dont sa mère même ne vit que très peu de chose.

Elle était devenue une belle jeune fille droite, élégante, rieuse. Sa beauté, peut-être un peu trop virile, était faite de noblesse et d’expression. Bien qu’elle s’y sentît terriblement seule, elle avait le goût de la vie de société. Quand elle paraissait, elle n’attristait pas. Elle avait au contraire, nous disent ses amis, une physionomie éclairante. Elle apportait de la joie et de la gaieté. On admirait son port superbe, son beau front, ses yeux sur lesquels flottait seulement une buée bleuâtre. Elle avait aussi la large lumière de son sourire. Mme Duclaux l’appelait la brise marine.

De sa beauté, Marie Lenéru jouissait vivement ; elle en prenait un soin jaloux, soucieuse de ne pas se gâcher, de se réserver pour les années où la guérison lui viendrait peut-être. On sait avec quel dédain elle parle de la laideur de Mme de Staël et de George Eliott. Il lui fallait, à elle, être encore belle, encore séduisante à quarante ans, peut-être à cinquante, puisque ce fut son destin de vivre les yeux tournés vers l’avenir, se fixant des termes qu’elle ne devait, hélas ! pas atteindre.

Autour d’elle, on s’émerveillait de sa bravoure. On lui disait : « Heureusement que tu as su te faire une vie ! Personne à ta place ne s’en serait tiré comme toi. » Et elle ajoute dans son journal ces simples mots : « Ils appellent cela une vie ! Ils appellent cela s’en tirer ! »

Ce journal, rédigé à de longs intervalles, a le ton inexorable de la vérité. De sa publication date pour elle une sorte de seconde vie. On découvrit seulement alors ce qu’elle avait souffert. Certains avaient pu la croire insensible. Cependant elle écrivait : « Je ne vois que