Page:La Revue hebdomadaire, année 34, tome 1, numéros 1-5, 1925.pdf/433

Cette page a été validée par deux contributeurs.
407
DE MARIE LENÉRU

l’expression violente de sa physionomie. Avec ses amis, elle parlait, d’une voix rude et rauque, à la manière des sourds qui ne peuvent régler leurs intonations tantôt trop faibles, tantôt trop fortes.

C’était un désastre qui s’abattait sur cette enfant de quatorze ans, joyeuse, pleine de vie. Elle resta deux ans à Paris où elle fut soignée. Une de ses amies m’a raconté qu’entrant dans la pièce presque obscure où Marie vivait, elle l’avait souvent trouvée assise, immobile, la tête dans ses mains. « Que fais-tu, lui demandait-elle ? — Je tâche de me rappeler toutes les choses que je n’ai pas bien écoutées. »

Dans cette épreuve, sa mère fut admirable de fermeté. Mme Lenéru ne se découragea pas. Elle lui apprit, alors que l’enfant était tout à fait aveugle, un premier alphabet par le toucher ; puis, quand la vue revint progressivement, elle lui parlait par les doigts. Jusqu’à la fin elle fut l’interprète de sa fille, et quand elles se trouvaient ensemble dans une réunion, les mains de la mère ne cessaient de s’agiter, traduisant la conversation. Quant à comprendre d’après le mouvement des lèvres, Marie Lenéru s’y exerça, sans que sa vue fût jamais assez bonne pour lui permettre d’y réussir.

Quelques amis avaient appris ce langage par signes qui la reliait au monde des vivants, mais ne laissait pas de lui donner à certaines heures une fatigue presque intolérable. Maurice Barrès a fixé le souvenir d’un de ces entretiens émouvants, où la jeune fille tenait ses yeux fixés sur Mme Duclaux, amie entre toutes précieuse et encourageante, qui fut la fée attendrie de cette destinée. Avec elle, l’enchantement d’une grâce exquise, de l’esprit et de la bonté visita ce cœur solitaire. De cette amitié, la vie de Marie Lenéru fut illuminée.

L’énergie maternelle ne faiblit jamais, ni le dévouement des amis. Quant à Marie Lenéru, elle avait assisté, l’intelligence lucide, avec une maturité au-dessus de son âge,