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L’HÉROÏQUE DESTINÉE

proché quelque raideur d’âme. Mais un orgueil de cette qualité, appliqué à la situation exceptionnelle où elle s’est trouvée, est une vertu. Et que bénie soit son ambition si elle lui a ouvert une porte de lumière !

Avec cette jeune fille qui n’a pas cessé de « se redemander tout entière », mettant à s’évader du destin où elle était prise une volonté plus singulière encore par sa tension que par sa persistance, nous pénétrons dans des domaines presque inexplorés. Mais le secret de tout véritable artiste n’est-il pas de nous donner l’impression de la découverte ? Il est dans le monde tant de régions sans possesseur qui attendent un regard nouveau. Ceux-là seuls nous retiennent qui ont le pouvoir de nous enrichir. Qu’une exigence intérieure les presse, les harcèle c’est la loi que doivent endurer ceux qui arrachent enfin à la vie, proie magnifique, la beauté pour laquelle ils étaient créés.

Le journal de Marie Lenéru abonde en détails sur le bonheur de son enfance. Elle avait été une petite fille jolie, ardente, aux yeux dévorants ; une petite fille scrupuleuse aussi, éprise de réforme intérieure, de sincérité et de perfection. À quatorze ans elle a une rougeole : elle devient complètement sourde. Le monde des sons, qui lui a laissé un souvenir de paradis perdu, se ferme pour toujours. Elle devient aussi aveugle, reste six mois dans la nuit complète, puis deux ans sans pouvoir rien faire et devra poursuivre toute sa vie, en l’activant le plus possible, le recouvrement de ses yeux. Certains ont cru qu’elle était aussi muette. En réalité, très impressionnable, elle ne pouvait parler quand une émotion violente la paralysait. C’est ce qu’elle éprouva devant le maître qu’elle admirait plus que tout autre. Le jour où Maurice Barrès la vit, il fut seulement frappé par