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présidente d’un comité de femmes patriotes révolutionnaires ; on la vit, à la tête d’une bande hurlante de citoyennes, promener des drapeaux dans les rues, déclamer dans les réunions, exercer le triste métier d’excitatrice des passions populaires. Ensuite, c’est l’effacement, l’oubli, la pauvreté. Sa mort même, survenue le 9 mars 1876, ne put rappeler l’attention sur son nom. On emporta son cercueil en province, dans la petite ville de Verneuil, où ses obsèques, qu’elle avait exigées civiles, eurent lieu sans pompe, sans discours, sans éclat. Et j’éprouve aujourd’hui une sorte de remords de m’être tant appesanti sur une figure qui tient si peu de place dans la galerie de l’histoire littéraire.

Peut-être cependant, à l’heure où quelques femmes, dans la poésie ou la prose, sont vraiment la parure et le charmant honneur de nos lettres françaises, et où tant d’autres, sur leurs traces, brûlent d’acquérir une renommée pareille, peut-être, dis-je, n’est-il pas inutile de rappeler à certaines l’erreur d’une de leurs devancières, qui, fière de ses premiers succès, grisée de louanges hyperboliques et persuadée que les dons naturels dispensent d’effort et de travail, confondit, trente années durant, l’abondance avec la richesse, la facilité avec le génie, le bruit avec la gloire.


Marquis de SÉGUR.