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sur une grosse bûche, debout près de la cheminée ; une lueur de sang passa devant ses yeux ; il prit la bûche, et déjà il marchait sur elle, lorsqu’il eut la brusque vision du meurtre et de ses suites : « Oui, oui, racontait-il plus tard, j’ai entendu craquer sous moi les bancs de la cour d’assises ! »

C’est en janvier 1855, après une scène où Louise Colet était allée le relancer jusqu’en sa retraite de Croisset et dans le salon de sa mère, que Flaubert prit enfin congé de cette terrible amie, par un court billet de dix lignes, où il l’avertissait qu’il ne la reverrait jamais plus. Il tint parole : à trois années de là, quand le succès de Salammbo apporta la gloire à Flaubert, elle tenta de forcer sa porte ; il refusa de lui ouvrir. Il est vrai qu’entre temps, elle avait déclaré, dans un sonnet sur Madame Bovary, que ce roman était écrit en style de « commis voyageur », et que dans Lui, ce livre que Philarète Chasles disait être « pétri de sang, de larmes et de bile », elle l’avait dépeint de telle sorte, que Flaubert, après la lecture, écrivait à Feydeau : « J’en ressors blanc comme neige, mais comme un homme insensible, avare, en somme comme un sombre imbécile. Voilà ce que c’est que d’avoir aimé des Muses ! J’en ai ri à me rompre les côtes. »

Il semble que, pour Louise Colet, cette rupture ait donné le signal de la décadence. Déjà s’étaient détachés d’elle nombre de ses anciens amis. C’était d’abord Sainte-Beuve, qu’elle prétendait contraindre à rendre compte de ses poèmes, et qui, excédé de ses plaintes, répondait à ses sommations avec une cruelle ironie : « Je ne demande qu’une seule chose, c’est de vous admirer en silence… Je vous supplie encore une fois de m’accorder la paix que je n’ai jamais violée à votre égard, et de me permettre d’être un critique silencieux et un admirateur de société pour vos œu-