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Paysanne, dont Flaubert voulait faire le chef-d’œuvre de son amie. Il corrigeait le manuscrit, l’épluchait vers par vers. Bouilhet l’aidait dans cette besogne, et tous les deux notaient, selon leur expression, « avec une fureur de cannibales », toutes les épithètes faibles, toutes les expressions défectueuses. Ils crurent que le succès avait couronné leur effort. « La Paysanne m’a remué profondément ; c’est superbe ! » écrivait Bouilhet. Et Flaubert reprenait : « La certitude d’avoir contribué à rendre très bon ce qui l’était à peu près m’a donné de la joie. » Pour moi, j’ai lu la Paysanne avec une patience méritoire ; j’aurais voulu en citer ici des passages ; je suis contraint d’avouer que je n’ai pas trouvé deux vers qui supportassent la lecture à haute voix. C’est plat, diffus, lamentablement ennuyeux.

La languissante liaison qui se traînait depuis six ans fut coupée par un intermède dont le héros fut Alfred de Musset. Mme Colet l’avait jadis rencontré chez Nodier, dans le salon de l’Arsenal ; elle le revit douze ans après au Théâtre-Français, où l’on jouait un de ses proverbes. Elle le trouva changé sans doute, mais toujours séduisant, comme en témoigne le portrait qu’elle a tracé de lui : « Son corps amaigri avait peut-être plus de distinction encore, et la pâleur mortelle de sa tête en augmentait l’expression idéale… Ses yeux caves brillaient d’un feu étrange, ses lèvres étaient presque blanches… Son front seul était resté pur, harmonieux et sans rides ; sa chevelure jeune et frisée l’ombrageait mollement. » Ils causèrent ; en se séparant, elle lui annonça sa visite ; mais le poète la devança ; dès le lendemain, il sonnait à sa porte.

Mme Colet, dans son roman de Lui, a publiquement divulgué l’aventure, dépeint la passion de Musset, ses incartades et ses caprices, et profité de l’occasion pour attaquer Flaubert, qui, au courant de tout, supporta