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Oh ! comme le destin aurait pu nous sourire,
L’un sur l’autre appuyés, si tu l’avais voulu.
Tu le sais, maintenant que la mort t’a fait lire
Dans mon cœur où, vivant, tu n’as jamais bien lu.

Quand Flaubert revint de voyage, il retrouva sa Muse dans une passe difficile, à court d’argent, isolée et découragée. La politique l’avait déçue ; ses poèmes ne se vendaient guère ; Cousin espaçait ses visites. Tout porte à croire qu’elle fit les premières avances ; Flaubert n’était pas homme à lui tenir longtemps rigueur. Les lettres qu’il lui écrivit à son retour d’Orient sont significatives. Dans les premières, il ne montre qu’une vague tendresse, fortement teintée de pitié : « J’aurais dû déjà répondre à votre longue et douce lettre, qui m’a ému, pauvre chère femme. » Un peu après : « Oui, je voudrais que vous ne m’aimiez pas et que vous ne m’eussiez jamais connu…, comme je voudrais ne pas être aimé de ma mère. » Deux mois plus tard, le 1er janvier 1852 : « À vous, qui m’aimez, comme un arbre aime le vent, à toi, pauvre femme que je fais tant pleurer, et que je voudrais tant faire sourire… » Et encore : « Quand je m’éveille, je pense à toi. Ô mon pauvre amour triste, reste-moi, je suis si vide ! » Nul doute, c’est le raccommodement. Toutefois, dans le cœur de Flaubert, Louise Colet a maintenant une terrible rivale, en la personne de Mme Bovary, qui obsède son cerveau, accapare ses pensées, hante ses jours et ses nuits. Et Flaubert ne cache pas que cette dernière a toutes ses préférences. On se représente de quel air l’orgueilleuse Muse accueille des confidences dans le genre de celle-ci : « Si je te voyais tous les jours, peut-être t’aimerais-je moins. Tu vis dans l’arrière-boutique de mon cœur, et tu sors le dimanche. »

Du moins, avec une belle conscience, persiste-t-il à demeurer son guide, son professeur et son rude censeur littéraire. Elle composait alors un conte en vers, la