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amoureux, mais qui surprennent néanmoins sous sa plume : « Adieu, ma sultane. N’avoir pas seulement une cassolette de vermeil pour faire brûler des parfums quand tu vas venir ! » Puis il énumère les « reliques » qu’il sort de son tiroir pour évoquer le souvenir de la bien-aimée : un mouchoir, un sachet, une boucle de cheveux, et jusqu’à « une pantoufle ». Il voudrait, pour lui plaire, être beau comme un dieu, avec le col d’ivoire et les cheveux bouclés d’un adolescent grec : « Si tu m’avais connu il y a dix ans ! J’étais frais, embaumant, j’exhalais la vie et l’amour ! » Dans ce verbiage un peu comique, çà et là des accents d’une passion sincère, mais d’une passion surtout physique : « Je rêve à ton visage, à tes épaules, à ton cou blanc, à ton sourire, à ta voix passionnée, violente et douce à la fois, comme un cri d’amour… Tu donnerais de l’amour à un mort ! »

Les réponses de la Muse ne sont pas venues jusqu’à nous ; mais le roman autobiographique dont j’ai parlé plus haut montre combien elle répondait aux vives ardeurs qu’elle avait inspirées. Certains passages des lettres de Flaubert viennent confirmer ce témoignage. « Ne m’aime pas tant, lui écrit-il un jour, tu me fais mal ! Tu ne sais donc pas qu’aimer trop, ça porte malheur à tous deux ! » Elle ne se plaignait que d’une chose, la rareté de leurs rendez-vous, car Flaubert, absorbé par son labeur de forçat littéraire, continuait d’habiter Croisset et ne venait que de loin en loin à Paris. « L’homme que j’aimais, lit-on dans Lui, vivait à la campagne, travaillant en fanatique à un grand livre, disait-il… Chaque jour, ses lettres m’arrivaient, et tous les deux mois, quand une partie de sa tâche était accomplie, je redevenais sa récompense adorée, sa joie radieuse, la frénésie passagère de son cœur. »

Elle n’avait pourtant pas rompu entièrement tout