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Muse ne fut aussi féconde. Elle publie coup sur coup romans, nouvelles, poésies de tout genre, dont l’une, sur le Monument de Molière, recueillit pour la seconde fois les suffrages de l’Académie, hymnes à la Pologne, à l’empereur de Russie, drames en prose ou en vers, jusqu’à des traductions de poètes italiens. Les grandes revues se disputaient sa collaboration. Malgré ses idées avancées, le Roi l’accueillait aux Tuileries, et faisait augmenter la pension que lui servait le ministère de l’Instruction publique.

Ces nuages d’encens étaient faits pour troubler les plus fortes cervelles. Aussi est-ce de ce temps que datent, chez Louise Colet, ces explosions d’orgueil, ces crises de violence, qui toucheront bientôt au délire. Une de ses premières victimes fut l’excellente Mme Dupin, qui l’avait introduite chez Mme Récamier. Elle reçut, pour une bagatelle, une bordée d’invectives dont elle eut peine à se remettre : « Ah ! cette scène de domestiques ! écrit-elle à Cousin. Je vivrais des milliers d’années que j’entendrais cette voix. Non, rien ne peut vous donner une idée de mon impression ! » Un journaliste obscur, ayant hasardé une critique sur un des poèmes de la dame, était par elle assailli en pleine rue et vigoureusement souffleté. Pour avoir risqué, certain jour, une déclaration un peu brusque, Villemain, secrétaire perpétuel de l’Académie, était l’objet d’une scène atroce, qui le laissait plein de stupeur au sujet d’une vertu qu’il n’aurait pas crue si farouche. Il n’est jusqu’à Cousin lui-même, qui, malgré sa docilité, ne pouvait s’empêcher de regimber parfois contre le joug de cette Muse impérieuse. Ne sent-on pas comme une sourde exaspération dans cette boutade, contre les femmes auteurs, qui éclate sans raison dans sa Jacqueline Pascal : « Quoi ? la femme, qui, grâce à Dieu, n’a pas de cause publique à défendre, s’élance sur la place publique, et sa pudeur ne se révolte pas à l’idée de