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splendide édition des œuvres de la poétesse, tirée à vingt-cinq exemplaires et envoyée seulement au Roi, aux princes du sang, à l’Académie française, et à quelques personnages fameux, Chateaubriand, Lamartine, Lamennais, Silvio Pellico. Certains chiffres cabalistiques placés à la fin du volume étaient la seule indication livrée à la curiosité publique. On fit bien des suppositions, et le nom de Cousin fut souvent prononcé. C’est de nos jours seulement que l’on a découvert le généreux Mécène : il avait nom Quesneville, et c’était un vieux pharmacien.

Dans ce même temps aussi, elle se lia avec Béranger, avec lequel, plusieurs années durant, elle entretint un commerce de lettres, sur lequel, si piquant qu’il soit, l’espace dont je dispose ne me permet pas de m’étendre. Et c’est encore dans cette période qu’elle gagna l’amitié de Mme Récamier. Mme Dupin, une amie de Cousin, à la prière de celui-ci, présenta la jeune femme à l’Abbaye-au-Bois. Son succès y fut vif ; les habitués firent fête à la nouvelle recrue, dont la radieuse beauté galvanisa les illustres vieillards qui avaient nom Ampère, Chateaubriand, Ballanche, Mathieu de Montmorency. La maîtresse de maison n’en conçut aucune jalousie, ne s’offusqua même pas lorsque Mme Colet s’installa rue de Sèvres, en face de l’Abbaye-au-Bois, et ouvrit un salon qui rivalisa un moment avec celui de l’incomparable Juliette. On y voyait parmi les assidus Villemain, Patin, Vigny, Pradier, Michel de Bourges, Émile de Girardin, Victor Hugo de loin en loin, sans compter quelques femmes, la plupart, il est vrai, de condition modeste et de moyenne vertu. Mme Colet y récitait ses œuvres au milieu d’un grand enthousiasme, et on les y chantait parfois, car Hippolyte, ce modèle des époux, mettait les vers de sa femme en musique. L’activité mondaine ne nuisait pas à la production littéraire. Jamais, tout au contraire, la