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cours, composa la pièce d’un seul jet, et fut la lire à Népomucène Lemercier, qui, dans le camp classique, jouait une manière de personnage. Le vieux poète s’enflamma pour les vers, et surtout pour la poétesse. Le jour où l’on discuta les poèmes, il plaida pour sa jeune amie avec une si chaude éloquence, qu’il emporta pour elle le prix et obtint même, par une faveur spéciale, que la somme fût doublée. À quelques jours de là, il présenta la lauréate à ceux de ses confrères qui avaient embrassé sa cause, Royer-Collard d’abord, ensuite Victor Cousin. De cette visite date la liaison fameuse, qui fut aussi profitable à la Muse que dommageable au philosophe.

Cousin était alors dans toute la force du talent comme dans tout l’éclat de sa gloire. De la Sorbonne, où la jeunesse révérait son enseignement, son prestige s’étendait jusqu’à l’Académie, où il faisait, assurait-on, « la pluie et le beau temps ». Son visage, son allure répondaient à l’admiration que soulevait, parmi ses élèves, sa parole éloquente. « Ce large front, écrit l’un d’eux, ces cheveux flottants, ce regard tout de feu, cette taille élevée, ces gestes étranges et impérieux, cette voix sonore et pénétrante, c’était là l’extérieur d’un homme de génie, s’il en fut jamais ! » À quarante-sept ans révolus, il gardait un cœur jeune, que la beauté de Louise Colet embrasa d’une ardeur subite. Au premier entretien, il la nomma « sa sœur » ; au second, il l’appela « la fille de Michel-Ange » ; au troisième… il ne fut question ni de fraternité ni de paternité.

Que, chez Cousin, la passion fût sincère, il n’est sur ce point aucun doute. Qu’il ait été aimé, la chose, après tout, est possible. Mais ce qu’on ne peut nier, c’est le côté pratique et fâcheusement utilitaire de cette intimité. Nous en avons des témoignages écrits. Mme Colet était l’auteur d’une petite comédie en vers sur la Jeu-