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Ce soupirant n’était pas un haut personnage : un petit greffier de province, sans fortune et fort laid. Coquette et attisant sa flamme, elle fit languir sept ans le pauvre hère. « Il portait mes couleurs », dit-elle, c’est-à-dire des cravates « du bleu de ciel le plus tendre ». D’après le même récit, il mourut de chagrin, quand elle quitta le séjour de Provence. Il lui léguait par testament :

Deux orangers de Gênes
Dignes de la serre d’un roi,
Que, durant ses longs jours de peines,
Il avait cultivés pour moi.

Plus tard, au fort de sa vie orageuse, en évoquant cet épisode : « Qui sait, soupirait-elle, si ce n’aurait pas été le bonheur ? » Mais, au fond, elle n’en croyait rien, se sentant faite, selon son expression, non pour « les eaux stagnantes », mais pour « les grandes mers tourmentées ».

Louise Révoil avait vingt-cinq ans lorsque, à la mort de sa mère, elle vint s’établir à Paris. Ses ressources étaient minces, et le palais « digne des doges de Gênes » avait fait place à un petit logement au quatrième étage d’une maison enfumée. Elle n’en rêvait pas moins de conquérir le monde. Elle s’assura tout d’abord d’un mari : ce fut un compositeur de musique, professeur au Conservatoire, du nom d’Hippolyte Colet, homme doux, discret, timide, sachant s’effacer à propos, juste l’homme qu’il fallait pour tenir l’emploi délicat de compagnon d’une muse glorieuse et d’une beauté célèbre. Munie de ce porte-respect, elle se lança dans la mêlée. Elle n’avait encore publié que de simples essais, signés d’un pseudonyme, dans de petites feuilles de province. Elle recueillit quelques-unes de ces pièces éparses, y ajouta quelques poèmes nouveaux, et elle porta le tout chez l’éditeur Dumont. Le succès ne fut