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passa une grande partie de son adolescence. Elle semble avoir reçu une bonne culture, avoir étudié sérieusement l’histoire et la littérature française, et appris assez de latin pour lire couramment les classiques. Le pays même où elle vivait, semé à chaque pas des souvenirs de la domination romaine, exalta de bonne heure son imagination, imprégna son cerveau des visions de l’antiquité. Il faut l’entendre raconter ses impressions d’enfance sur le théâtre d’Arles ou les arènes de Nîmes : « Que de fois je me suis assise sur les gradins de cette belle ruine, tandis qu’un soleil couchant, aussi splendide que le soleil qui éclaira les grands jours d’Athènes ou de Rome, projetait ses teintes pourpres sur le fronton brisé du monument. Là, s’animaient pour moi les scènes de ce monde de l’Attique… » Je vous fais grâce du reste. Certain jour, lisant dans Plutarque comment la comédie des Nuées avait pu contribuer à la mort de Socrate, elle maudissait Aristophane, le traitait d’« assassin » et le vouait aux dieux infernaux.

Inutile d’ajouter qu’elle exprimait déjà ces sentiments en vers. Elle rimait dès l’âge de dix ans ; à quinze, ses manuscrits eussent composé un fort volume. Ces pièces ne sont pas venues jusqu’à nous ; il est permis de se consoler de cette perte. Selon toute apparence, ce n’était guère pire ni meilleur que ce qu’elle a publié plus tard. En littérature, comme en tout, elle avait du tempérament, mais elle ne fut jamais artiste. C’est ce que son ami Bouilhet insinuera sous cette forme polie : « Vous avez la facilité méridionale ; vous écrivez aussi vite que vous pensez. Cela est merveilleux ; mais cette improvisation, si elle fait jaillir çà et là des vers sublimes, ne constitue que rarement un ensemble irréprochable. » Et c’est ce que Barbey d’Aurevilly reconnaît à son tour en termes moins aimables : « Elle avait reçu dans l’esprit cette espèce de coup de tampon que donnent le ciel et la mer du Midi aux ima-