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C’est cette même femme, dont, une vingtaine d’années plus tard, Barbey d’Aurevilly écrit : « Ce n’est pas un bas-bleu, c’est le bas-bleu lui-même ; elle s’élève jusqu’à l’abstraction », et qu’il qualifie cruellement de produit monstrueux de Trissotin et d’une Gorgone. Encore quelques années, l’invective fait place au silence, ce silence écrasant qu’elle craignait plus que tout au monde, auquel elle eût cent fois préféré les outrages. Maintenant, à peine quelques lettrés se rappellent-ils son nom ; personne ne lit plus ses écrits.

Dans l’histoire littéraire, elle ne fut donc qu’un météore, moins qu’un météore, une fusée, et, aujourd’hui, c’est une fusée éteinte, c’est-à-dire moins que rien. Mais il se trouve que cette fusée alluma quelques incendies, dont les victimes s’appelèrent Victor Cousin, Gustave Flaubert et Alfred de Musset. Le reflet de ces feux préserve sa mémoire d’entrer tout à fait dans la nuit. Dans tous les cas, c’est mon excuse pour essayer quelques instants de raviver devant vous une figure qui, d’ailleurs, par ses défauts mêmes, ses outrances et ses ridicules, est assez représentative de la race des muses romantiques : comme une caricature, exagérant les traits distinctifs d’un visage, révèle parfois, mieux qu’un portrait sérieux, le caractère réel de la physionomie.

Ainsi que d’autres romantiques, et non des moins illustres, Mme Colet se composa plus tard une généalogie brillante. Descendante d’une « famille de preux », née dans un « palais provençal », que lui rappelaient les plus somptueuses demeures des patriciens de Gênes, ruinée par un procès qui l’a réduite à vivre de sa lyre, ainsi décrit-elle son enfance. En fait, elle était née à Aix, le 15 septembre 1810, la septième fille d’un directeur des postes, Antoine Révoil, dont la femme, il est vrai, avait quelques prétentions nobiliaires. C’est dans la famille de celle-ci, au château de Servannes, que se