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furieuse, et me dit qu’elle irait trouver son vieux baron, qui lui donnerait de plus riches étrennes.

Me voilà libre. Je descends le faubourg en étudiant mon rôle que je tenais à la main. Je rencontrai Wahby la Bohême, qui m’adressa un regard languissant et plein de reproches. Je sentis le besoin d’aller dîner à la Porte-Rouge, et je m’inondai l’estomac d’un tokay rouge à trois kreutzers le verre dont j’arrosai des côtelettes grillées, du wurschell et un entremets d’escargots.

Les boutiques illuminées regorgeaient de visiteuses et mille fanfreluches, bamboches et poupées de Nuremberg grimaçaient aux étalages accompagnées d’un concert enfantin de tambours de basque et de trompettes de fer-blanc.

« Diable de conseiller intime de sucre candi ! » m’écriai-je en souvenir d’Hoffmann, et je descendis rapidement les degrés usés de la taverne des Chasseurs. On chantait la Revue nocturne du poète Zedlitz. La grande ombre de l’empereur planait sur l’assemblée joyeuse, et je fredonnais en moi-même : « Ô Richard !… » Une fille charmante m’apporta un verre de baierisch-bier, et je n’osai l’embrasser, parce que je songeais au rendez-vous du lendemain. Je ne pouvais tenir en place. J’échappai à la joie tumultueuse de la taverne, et j’allai prendre mon café au Graben. En traversant la place Saint-Étienne, je fus reconnu par une bonne vieille décrotteuse qui me cria selon son habitude : « Sa… n… de D… ! » seul mot français qu’elle eût retenu de l’invasion impériale. Cela me fit songer à la représentation du soir, car autrement je serais allé m’incruster dans quelque stalle du théâtre de la porte de Carinthie où j’avais l’usage d’admirer beaucoup M. Lutzer. Je me fis cirer, car la neige avait fort détérioré ma chaussure !

Une bonne tasse de café me remit en état de me présenter au palais ; les rues étaient pleines de Lombards, de Bohèmes et de Hongrois en costumes. Les diamants, les