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LA REVUE DU MOIS

nir toujours sa pensée dirigée vers les préoccupations les plus hautes, qui donna tant de noblesse et de force d’exemple à sa vie de courageux et libre examen, à l’atmosphère vivifiante et saine qu’il créait autour de lui.

C’est la même discipline, appliquée par lui dans toute sa vie mentale, qui nous donnera la clef de toutes ses attitudes, qui le maintint toujours tellement éloigné de l’agitation et de l’arrivisme, dans la sérénité d’une existence entièrement consacrée à la science et aux gens qu’il aimait, dans le calme du laboratoire où la gloire vint le chercher pour troubler un instant l’admirable unité de sa vie. Il écrivait par exemple en toute sincérité :

On m’a dit que l’un des professeurs donnerait peut-être sa démission et que je dois poser ma candidature à la succession. Vilaine corvée que celle d’un candidat à une place quelconque : je ne suis pas habitué à ce genre d’exercice démoralisant au premier chef. Je regrette de vous en avoir parlé. Je crois que rien n’est plus malsain pour l’esprit que de se laisser aller à des préoccupations de ce genre, et d’écouter tous les potins que l’on vient vous raconter.

C’est dans son laboratoire que mes souvenirs, encore si récents, viennent plus volontiers me le représenter, à peine changé, comme il advient pour ceux près desquels on vieillit, par les dix-huit années écoulées depuis que, débutant timide et souvent maladroit, je commençai près de lui mon éducation expérimentale ; je le revois, grand et mince, un peu penché d’ordinaire sous le poids du labeur obstiné, les cheveux drus prématurément blanchis sur son front dégagé, les traits fins, un peu amaigris depuis quelque temps par des souffrances physiques subies sans aucune plainte, la face éclairée par un sourire qui reflétait son exquise bonté, égayée par son rire d’enfant, ou attentive dans son désir constant d’observer et de comprendre.

Entouré d’appareils pour la plupart imaginés ou modifiés par lui, il les maniait avec une adresse extrême, dans des gestes familiers de ses longues mains blanches de physicien, l’extrémité des doigts fréquemment douloureuse et rougie, dans les dernières années, à cause du continuel contact des tubes de radium.

Et pourtant, il est vrai que nous devons brusquement renoncer à voir celui qui fut le maître et l’ami, il est vrai que nous