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PIERRE CURIE



Tout près d’ici, au fond de la vallée, pleine en ce moment de fleurs et de parfums, où s’écoula une grande partie de sa jeunesse, repose maintenant le grand physicien et l’homme excellent que fut Pierre Curie.

Voici bientôt deux mois que nous l’avons conduit pour y dormir de l’éternel sommeil, dans le tranquille cimetière, dominant ces coteaux de Sceaux et de Fontenay où il promena longtemps sa pensée si active. Voici bientôt deux mois que, comme par brutale et stupide vengeance, la matière aveugle, mère de la vie et de la douleur, détruisait le cerveau qui la comprenait, la dominait et l’aimait le mieux. Dans un moment de la lutte que nous poursuivons contre elles, les forces physiques affirmaient une fois de plus leur pouvoir sur la plus belle de toutes leurs floraisons, sur l’intelligence et la bonté humaines.

Voici bientôt deux mois, et cependant ceux qui vivaient près de lui, qui avaient coutume de lui soumettre leurs idées et leurs doutes, ont peine encore à croire à sa perte, à la « réaliser », comme disent les Anglais. L’heure où l’on savait pouvoir le rencontrer et où il aimait à causer de sa science, le chemin qu’on faisait d’ordinaire avec lui, viennent chaque jour rappeler son souvenir, évoquer sa physionomie bienveillante et pensive, ses yeux lumineux, sa belle tête expressive modelée par vingt-cinq années passées au laboratoire, par une existence de travail opiniâtre, d’entière simplicité, laborieuse et contemplative à la fois, par son continuel souci de beauté morale, par une élégance d’esprit qui avait créé chez lui l’habitude de ne rien croire, de ne rien faire et de ne rien dire, de ne rien admettre dans sa pensée ni dans ses actes, qui ne lui fût parfaitement clair et qu’il ne comprît entièrement.

C’est ce constant besoin de vérité et de clarté, étendu à tous les domaines, qui le fit, de manière naturelle et simple, mainte-