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LA REVUE DU MOIS

l’offre et de la demande au profit de l’industrie nationale, vous admettez qu’il légifère pour assurer au producteur des bénéfices prélevés en partie au moins sur le consommateur, et vous oseriez, quand la main-d’œuvre ouvrière réclame des pouvoirs publics la même sollicitude que l’objet de sa fabrication, répondre au législateur : « L’organisation du travail n’est pas votre affaire, elle n’est pas de votre compétence ; laissez faire ici la liberté seule ». Il y aurait là quelque cynisme ; si adroitement qu’on joue avec le paradoxe libéral, il est malaisé, tout de même, de dénier à la main-d’œuvre ce droit à la sollicitude collective qu’on invoque pour la marchandise.

Et ce que la raison nous fait prévoir, les faits le confirment de la manière la plus saisissante ; c’est précisément en Allemagne, c’est-à-dire dans le berceau du néo-protectionnisme, que le socialisme d’État moderne, aujourd’hui grandissant de toutes parts, a poussé ses premières racines : où donc les syndicats ouvriers sont-ils aussi disciplinés, aussi conscients de leur rôle d’organisation sociale ? où donc est né le principe de l’obligation à la prévoyance ? Je ne déplore pas, bien au contraire ; je constate. Avec le même retard qui sépare l’apparition des tarifs français de celle des tarifs allemands, voilà ce principe d’obligation qui pénètre — enfin ! — chez nous il n’en est même pas question dans ce fief du libre échange : l’Angleterre.

Des esprits chagrins et toujours prêts à se dénigrer eux-mêmes ont mis cette avance de l’Allemagne en matière de progrès ouvriers sur le compte de la « sagesse impériale » ou du « génie de Bismarck ». Rien n’est plus fantaisiste ; ces mesures sont la conséquence, j’allais dire le réflexe de la politique protectionniste.

Parcourez, à l’Officiel, la discussion de n’importe quelle loi protectionniste vous y verrez les efforts socialistes dont elle est accompagnée. Je prends comme exemple la discussion récente, à la Chambre des députés, du projet de loi sur la marine marchande, projet par lequel d’importantes primes sont attribuées aux armateurs et aux constructeurs, et je note, au cours de cette discussion :

Une proposition de M. Carnaud tendant à affecter une fraction des primes à des subventions aux syndicats d’inscrits maritimes.

Une autre proposition tendant à réserver les primes aux industriels ayant organisé des caisses de retraites.