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L’ÉVOLUTION DU PROTECTIONNISME

le prix de cette machinerie ; elle accroît le coût de la vie et par suite celui de la main-d’œuvre : il faut en conséquence compenser cet accroissement par un tarif protectionniste.

Voilà donc matières premières et matières ouvrées à l’abri de la concurrence étrangère. Pourrez-vous vous arrêter là ? Votre protectionnisme trouve nécessairement sa contre-partie : les nations auxquelles vous fermez votre marché vous ferment le leur, c’est pour elles une inéluctable nécessité, sous peine de voir l’existence de leur industrie sans cesse menacée par l’écoulement à bas prix du surplus momentané de votre production. Seuls restent ouverts quelques marchés lointains où la concurrence va s’engager ; mais, pour tenir votre rôle dans la lutte, il vous faut une marine : hélas, vous n’en avez plus : un pays que le protectionnisme habitue à vivre sur lui-même n’a plus qu’une apparence de marine marchande.

Pour restaurer cette marine anémiée, vous voilà contraints de la protéger, sous une forme ou sous une autre, et cela est si vrai qu’à l’heure actuelle toutes les nations protectionnistes subventionnent largement leur marine marchande : l’Allemagne, qui paraît ici constituer une exception, dont on trouvera plus loin la raison d’être, n’a pas cependant ménagé ses sacrifices pour sa marine marchande (il est vrai, que ses dépenses, qui se réalisent sous forme de détaxes de fret, tarifs soudés, subventions irrégulières, sont moins faciles à discerner que les primes françaises, américaines ou italiennes). Alors apparaît le champignon par lequel se manifeste la deuxième période du protectionnisme : la prime. Bientôt elle se généralise ; les primes étrangères répondent aux primes nationales et viennent en contrebalancer l’effet : des sommes importantes sont prélevées sur le budget des États, en pure perte pour chacun d’eux, et sans autre résultat que de troubler le marché des frets et d’entretenir une activité factice[1] qui ne correspond pas réellement aux besoins de la consommation.

À vrai dire, nous avons dépassé cette seconde période, nous

  1. Qu’on ne se méprenne pas : ceci n’est nullement une critique de nos primes à la marine marchande ; c’est tout au contraire l’affirmation de leur fâcheuse nécessité comme un corollaire du protectionnisme et c’est pourquoi, si le principe des attaques retentissantes de l’honorable M. Caillaux contre ces primes me parait excellent, je suis obligé cependant de considérer ces attaques comme pratiquement inopportunes : avant de toucher au système des primes, il faut toucher d’abord au système des tarifs protecteurs.