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LA REVUE DU MOIS

Il venait de demander, inutilement encore, la chaire de minéralogie de la Sorbonne quand une troisième fois, et de manière décisive, l’admiration des savants étrangers intervint pour lui faire obtenir enfin une situation digne de lui.

En 1903, vinrent successivement l’invitation dont j’ai parlé de l’Institution royale, puis, quelques mois plus tard, la grande médaille Davy de la Société royale de Londres, et, huit jours après, le prix Nobel, qui déchaîna le torrent des admirations.

Il sut conserver, dans le bruit qui se fit autour de lui et qui lui causa surtout de la fatigue, la même simplicité d’âme et la même bonté, trop habitué à juger de la valeur des choses, trop au-dessus des vanités et trop clairvoyant pour se laisser griser.

De même qu’il ne gardait aucune ombre d’aigreur des années difficiles qu’on lui avait laissé passer, de même trois années de gloire n’ont pu le modifier, troubler un instant le pas tranquille et sûr dont il s’avançait vers la vérité, dont il marchait au milieu du rêve de sa jeunesse, la main sur celle de sa femme, tel que je le revois dans une attitude familière.

La distance immense qu’il avait ainsi parcourue et qui le séparait du reste des hommes devint surtout sensible dans la surprise qu’éveillèrent certains de ses actes, dans la manière dont furent généralement méconnus les mobiles de sa conduite. Il évita autant qu’il le put les honneurs et les distinctions dont il n’avait pas compris l’utilité, fidèle en cela à la règle suprême de sa vie. Il détestait tout ce qui touche de près ou de loin au snobisme ou à la vanité, au besoin qu’ont les hommes d’affirmer par des signes extérieurs leur supériorité réelle ou supposée.

Il trouvait naturellement en lui le tranquille et rare courage d’agir conformément à ce qu’il croyait juste, sans pose et sans orgueil, par unique souci de mettre sa conduite en accord avec ce qu’il avait toujours dit et pensé.

Il avait cru pouvoir, sans désaccord avec lui-même et malgré la perte de temps que cela représentait, faire partie de l’Institut, espérant trouver là le moyen de faire œuvre utile. Très touché par une première démarche de la section de physique qui, spontanément, à l’unanimité, était venue lui demander de poser sa candidature, il avait, comme on sait, préparé son échec en faisant surtout, dans ses visites, l’éloge de son concurrent. Après le prix Nobel, la mort de Potier lui fournit l’oc-