Page:La Revue du Mois, tome 2, 1906.djvu/23

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
20
LA REVUE DU MOIS

la partie expérimentale, est supérieure à tout ce que j’ai entendu ou vu en matière d’enseignement.

Au moment où il achevait de mettre son cours sur pied, où il reprenait un travail sur la genèse des cristaux, sur l’inégale vitesse de formation des diverses faces dans une même solution, il se trouva conduit à changer complètement de direction pour suivre la veine que Mme Curie venait de rencontrer, où ce n’était pas trop de leurs forces unies, et qui devait aboutir de 1898 à 1900 à la découverte du polonium et du radium.

Quelques mois avant leur première publication sur ce sujet, affirmant l’existence de matières nouvelles fortement radioactives, l’œuvre scientifique déjà considérable de Pierre Curie ne fut cependant pas jugée suffisante pour imposer sa nomination à la chaire de chimie physique, devenue vacante à la mort de Salet, et où il avait dû poser sa candidature, contraint par la naissance récente d’Irène de se trouver de nouvelles ressources.

Il se vit préférer Perrin dont les brillantes recherches sur les rayons cathodiques et les rayons de Röntgen avaient vivement attiré l’attention, Perrin qu’il ne connaissait pas alors et qui devait plus tard compter parmi ses amis les meilleurs. Je cite ce fait pour montrer qu’un échec, si sensible qu’il fût pour lui, était incapable d’éveiller dans son esprit un ressentiment personnel ; il se serait cru injuste en rendant un concurrent heureux responsable de l’oubli dans lequel on le laissait et qu’il savait dû à une faiblesse générale des caractères et des institutions. Cet oubli se prolongea encore après la publication des travaux sur la radioactivité, tant que les témoignages d’admiration venus de l’étranger n’eurent pas ému l’opinion.

Le contact d’êtres exceptionnels comme Pierre Curie avec un milieu permet de juger celui-ci par les réactions qu’ils y provoquent, par la difficulté de leur adaptation.

Voici un homme de tout premier ordre, le meilleur de son pays, sinon de son temps, dans sa spécialité, qui vient de consacrer vingt ans de son existence aux recherches les plus hautes et les plus désintéressées pour aboutir à la plus remarquable peut-être des découvertes modernes, que son attachement à l’œuvre entreprise, que sa haute probité mentale et sa sincérité