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LA DÉCOUVERTE DE L’ANNEAU DE SATURNE PAR HUYGENS

a plus qu’à l’exposer au jour, sans que les spéculations que d’autres ont faites sur la même matière fassent peur aux vôtres, ni approchent que de bien loin du vrai but que vous avez touche.

Et, précisément, ces deux dessins inconnus de Huygens, transmis par J. Chapelain à H. L. H. Monmor[1] suscitent chez ce dernier la réponse suivante, le 28 février 1658 :

…J’avais autrefois dit mes pensées[2] touchant le Système de Saturne à feu M. de Gassendi sur diverses observations qu’il en avait faites, et sur ce que j’en avais vu. Mais il n’a jamais rien voulu prononcer, parce qu’il n’avait pas observé tout le cours entier de cette Planète. Je ne doute point que votre Ami (Huygens), qui a eu déjà le bonheur d’avoir découvert la Lune, n’ait encore l’avantage de trouver les raisons de ce phénomène que j’ai grande impatience à savoir. Il les pourrait confier à votre probité et sincérité qui est connue partout. Et même je n’estime pas qu’il doive appréhender qu’il y ait ici de ses voleurs de Planètes, comme en Allemagne qui courent presque sur les Terres de Jupiter et de Saturne. Pour moi, bien que mes lunettes de treize ou quatorze pieds ne m’aient point encore fait voir cette Lune, je tiens pourtant l’observation véritable…

…Je vous ferai voir les figures de Saturne observées par feu M. de Gassendi et mes conjectures que j’écrivis alors, ce qui serait trop long à écrire.

Je vous prie d’éclaircir avec votre ami si la je figure de Saturne est exactement représentée, et si ce trait qui est à gauche est quelque apparence dans le corps de la Planète, qui marque que la dite Planète soit sur son anse gauche.

Ce document est intéressant puisqu’il nous prouve que Huygens n’avait pas fait intégralement ses confidences à J. Chapelain, et il nous apprend qu’il y avait alors des voleurs de planètes dont il était bon de se garder.

Le 28 mars 1658 Huygens écrit à de Monmor :

Je crois que les figures de Saturne que M. Chapelain vous a fait voir dans ma lettre, vous ont semblé bien extravagantes. Elles sont pourtant véritables, et dans celle que je lui envoie à cette heure je lui

  1. Henri-Louis Habert de Monmor fut Libellorum Supplicum Magister et avait une grande bibliothèque : c’est chez lui que Gassendi passa la fin de sa vie, de 1653 à octobre 1655, et qu’il composa les éloges renommés à Tycho-Brahe, Kopernick, Purbach et Régiomontanus.
  2. Nous n’avons malheureusement pas les détails de ces idées, qui sont d’autant plus importantes qu’elles ont été soumises à la critique de Gassendi.