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CHRONIQUE

compression engage la violence ; nous connaîtrons peut-être dans quelques mois les résolutions du tsarisme hésitant dans la période difficile qu’il traverse. Mais, s’il choisit la voie de la compression et s’il y sombre, les avertissements des esprits les plus modérés ne lui auront pas manqué. M. Bourdeau rappelle le mot de de Maistre : « Mettez un désir russe sous une citadelle, il la fera sauter », et de l’ensemble de son étude se dégage la notion de la fatalité avec laquelle les méthodes de répression politique et d’oppression intellectuelle ont pour aboutissement nécessaire les révoltes sanglantes. Un tableau de la situation de la Russie vers 1900 mérite d’être cité[1].

« Les circonstances générales favorisaient au plus haut point cette renaissance révolutionnaire. Le mécontentement gagnait toutes les classes. Dans la fièvre des entreprises, les crises industrielles et agricoles se succédaient à courts intervalles. Le gouvernement entretenait un autre genre de fléau, la famine intellectuelle.

L’enseignement des Universités était abaissé, les cabinets de lecture étaient expurgés. Le gouvernement faisait pour ainsi dire défense à chacun de penser et de croire à autre chose qu’au dogme officiel du tsarisme. Le procureur du Saint-Synode Pobedonotsef travaillait de la sorte à réaliser, dans cet empire immense, le rêve d’unité d’un Bonald et d’un de Maistre, rêve grandiose et irréalisable, car la loi qui domine les sociétés modernes conduit au contraire à une complexité, à une différenciation toujours croissantes. Cette discipline de fer, analogue à celle d’une armée en marche, visait sans doute à la grandeur nationale et, de fait, jamais la diplomatie russe n’avait célébré de plus grand triomphe. Elle était l’arbitre de l’Europe, elle marchait à pas de géants vers la conquête de l’Asie.

Mais fallait-il donc asservir le peuple russe pour le mieux préparer à dominer les nations ? Et quel contraste entre la politique extérieure et intérieure ! Dans les petits états des Balkans, la Russie se montrait la gardienne jalouse des libertés constitutionnelles. La Marseillaise retentissait à Pétersbourg en l’honneur du président de la République française. Nicolas II décorait M. Millerand, que la troisième section, s’il eût été sujet moscovite, eut expédié dans les mines sibériennes, sinon fait suspendre au gibet. »

Le contraste entre la faiblesse extérieure du gouvernement et son apparente force extérieure ne devait d’ailleurs pas durer longtemps, et la Russie n’allait pas tarder à cruellement vérifier une fois de plus cette loi historique, que l’absence de liberté à l’intérieur n’est même pas une garantie de succès diplomatiques ou guerriers.

Sociologie. — La condition des ouvriers des mines. — M. François Simiand vient de publier sur ce sujet, devenu récemment d’une tragique actualité, une importante étude[2].

  1. Revue des Deux Mondes du 15 juin 1906.
  2. Revue de Paris des 1er  et 15 juin 1906.