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de la réunion de ces tableaux et de ceux légués au second Lord Northbrook que se compose aujourd’hui la collection Northbrook, l’une des principales collections privées de Grande-Bretagne. La Vierge à la Vigne orna par conséquent l’hôtel de M. Baring, 40, Charles Street, Berkeley Square, jusqu’à la fin de 1853, époque de l’incendie de cet hôtel. À la nouvelle qu’il reçut de la catastrophe, Delaroche crut son œuvre entièrement détruite. Il écrivit à M. Labouchère : « Bien franchement, je suis fâché de la perte de ma pauvre Vierge, bien plus par le souvenir que j’y attachais que par l’estime que je pouvais avoir pour cet ouvrage. Il n’en reste donc plus rien !… M. le marquis de Ganay possède une tête d’étude, dessin à la sanguine pour lequel Mme Delaroche avait posé ».

En réalité, le tableau n’avait que très peu souffert ; seuls, quelques points avaient été touchés et le dommage fut si habilement réparé par la suite qu’il est nécessaire d’y regarder de bien près pour découvrir où a passé la main du restaurateur. La fraîcheur des tons est intacte ; malgré la patine du temps, on dirait qu’ils viennent d’être posés.

C’est tout de même une aventure extraordinaire que celle de cette peinture : achetée en 1844 par un grand collectionneur anglais, elle passa, en 1853, pour avoir été brûlée, et son auteur lui-même regretta toujours sa perte. Tous les biographes de Delaroche, les dictionnaires et encyclopédie d’art français et anglais n’en parlèrent jamais, depuis lors que comme d’une œuvre détruite. Elle vivait cependant, ignorée, dans un coin de la célèbre collection de Lord Northbrook. C’est de là qu’elle sortit sans bruit, il y a quelques mois, pour être acquise chez Christie, en vente publique, par un amateur qui avait su se renseigner.

Cinquante-huit années d’oubli et l’œuvre qui reparaît intacte ! Le fait est sans exemple et valait d’être signalée, ne fût-ce que pour empêcher le tableau original d’être un jour traité de copie.

M. H. SPIELMANN