Page:La Revue de l'art ancien et moderne, Tome XXXI, Jan à Juin 1912.djvu/8

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Aussi bien, la discussion est-elle oiseuse. Pour s’en tenir aux faits, il faut reconnaître que, tout attiré qu’il fût par son tempérament vers d’autres recherches et d’autres expressions, Gabriel de Saint-Aubin avait pris fort à cœur sa réussite aux concours de Rome. Déçu dans ses espérances, il resta quelque temps sous le coup d’un insuccès qui bouleversa toute sa vie. De 1754 à 1757, sa production fut presque nulle. Puis il se remit au travail, mais d’une façon irrégulière et indécise, sans direction, sans but, — et cela dura pendant vingt-six ans, jusqu’à sa mort, le 9 février 1780.

Désormais, pour reprendre encore les notes de son frère Charles-Germain, « il négligea la peinture et se livra à plusieurs genres de connaissances » ; « il professa longtemps le dessin dans la nombreuse école de Blondel, architecte » ; il professa aussi à l’Académie de Saint-Luc ; suivit les cours, les expériences, les Salons, les ventes ; visita les galeries de tableaux et les monuments de la capitale ; ne manqua ni les cérémonies officielles ni les réjouissances populaires ; et alors, ne gravant et ne peignant plus que par caprice, il se mit à dessiner, à dessiner frénétiquement, sans relâche, en tout temps et en tous lieux, dissipant son talent en une innombrable suite d’études de mœurs, d’histoire, d’allégories, de paysages, de monuments, — extraordinaire amas de documents qu’on aime tels qu’ils sont, car ils sont exquis, mais d’où ne sont point sorties autant d’œuvres achevées qu’on le souhaiterait. L’insatiable curiosité de son esprit, avide de tout voir et de tout savoir, a porté à l’artiste un préjudice irréparable. D’une part, doué d’une belle mémoire, « il parlait hardiment, à la satisfaction même des professeurs dans différentes sciences »  ; et, pour le reste, il semble avoir été le plus irrésolu des hommes, rarement capable de poursuivre une œuvre et de la mener à bonne fin ou, au contraire, ne trouvant jamais cette œuvre assez achevée, la reprenant et la remaniant sans cesse jusqu’à la gâter par ses retouches : aussi demeura-t-il « en chemin de son talent », suivant le mot de son frère. Il partage avec d’autres, et de plus grands que lui, cette infortune d’avoir rencontré, dans l’excès même de ses connaissances, une entrave à l’épanouissement de son génie.

Pourtant, ses dessins, dont le nombre est incalculable et qui sont tous charmants, même les plus sommaires ; ses eaux-fortes, dont plusieurs