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derrière Monnet. Le 6 octobre de la même année a lieu le jugement des esquisses présentées au concours pour une place à l’Ecole royale des élèves protégés ; Saint-Aubin, Brenet et Renon sont retenus dans cet ordre : « lesdits élèves exécuteront le sujet de leurs esquisses, qui est le moment que Laban cherche ses idoles » ; cette fois, c’est Brenet qui l’emporte. En 1754, Saint-Aubin arrive encore à l’épreuve finale du grand prix de peinture ; le sujet porte simplement : Mathathias. L’Académie choisit Chardin le fils ; Saint-Aubin n’est pas même classé [1].

Tant d’échecs répétés découragèrent le jeune peintre. Soit qu’il fût atteint par la limite d’âge, soit que, comme l’a écrit son frère aîné, « quelques préférences injustes » lui aient fait abandonner l’idée d’aller à Rome, il ne se représenta plus aux concours et brisa désormais avec l’Académie royale.

S’il faut s’en réjouir ou le regretter, nui ne le peut dire, parce que nul ne sait ce que Rome eût fait d’un talent comme celui de Gabriel de Saint-Aubin. Pourtant, lorsque Goncourt suppose que l’artiste y serait devenu un peintre d’histoire de la valeur de Subleyras, il oublie trop que le voyage d’Italie n’a jamais porté préjudice aux tempéraments originaux ; et, pour prendre un exemple contemporain, la carrière de Fragonard en est une preuve. Or, dans le même temps que Saint-Aubin s’évertuait à peindre les « grandes machines » imposées aux concours de Rome, il commençait aussi à graver. Que dis-je ? il commençait ! L’année de son dernier échec, il avait, à trente ans et en l’espace de quatre années (1750-1754), fait paraître onze eaux-fortes, soit environ le quart de son œuvre gravé [2]. Sans doute, on rencontre parmi ces eaux-fortes quelques allégories confuses et quelques solennelles histoires bibliques, mais on y trouve aussi, par contre, de ces estampes de mœurs d’une facture si personnelle, d’une observation si aiguë et en même temps d’une fantaisie si abondante et si facile qu’elles ne seront jamais surpassées par leur auteur, — des pièces définitives comme le Bœuf gras (1750), la Foire de Bezons (1750), les Nouvellistes (1752), et cette Vue du Salon du Louvre en 1753, dont Goncourt a pu dire sans exagération qu’elle est « la petite

  1. Procès-verbal de l’Académie royale de peinture et de sculpture, t. VI, passim.
  2. Je ne parle ici que des eaux-fortes datées ; parmi celles qui ne portent pas de dates, il en est certaines que l’on pourrait faire rentrer dans cette période de la vie de l’artiste.