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De même que la furia native d’un Rubens a réveillé la sensualité flamande, la concentration non moins originale d’un Rembrandt n’a point manqué d’agir, mais plus étroitement, sur le petit monde des Ostade et sur les songes plus ambitieux de quelques disciples : ici-même, une très curieuse Malédiction de Caïn, pendant que les fils du réprouvé lient leurs gerbes aux feux blancs d’un éclair, apparaît si rembranesque que d’aucuns l’ont attribuée au Faust hollandais du clair-obscur ; d’autres nomment un des Cuyp ; peut-être y retrouverait-on la dextérité d’un Aart van Gelder ou d’un Flinck. La page est loin de ressembler au sage labeur d’un élève.

Au XVIIIe siècle, qui ne fut pas seulement le temple des Grâces, mais le berceau de la modernité, Rubens ni Rembrandt ne restèrent sans influence sur l’émancipation de la proverbiale sagesse de l’art français, qui respire ici dans deux beaux dessins de Poussin et de Prud’hon ; et même « le retour à la nature », prêché par nos philosophes, s’accommodait fort bien des plus brillantes audaces de la palette ou du sentiment : « Courage, mon ami Greuze, fais de la morale en peinture ! » s’écriait Diderot, félicitant le peintre « d’avoir donné des mœurs à l’art » ; mais ces mœurs ne sont nullement puritaines, et la leçon de morale se fait aisément souriante, un peu mystérieuse, presque légère, pour être mieux entendue d’un siècle poudré. Les Deux Sœurs ne sauraient nous contredire en leur négligé matinal : c’est évidemment un symbole ; mais sa gravité ne se dévoile pas immédiatement au plaisir des yeux. Greuze rejoint Frago dans ce demi-jour de frottis bruns et de pâtes roses, et sa morale est encore moins austère que celle de Raoux dans son Mariage païen.

Annoncé par les écrivains, le retour à la nature amène le romantisme et le paysage, ces deux triomphes de la couleur. Le premier se nomme Eugène Delacroix ; et ne suffit-il pas de retrouver l’Assassinat de l’évêque de Liège pour comprendre le mot du novateur qui sonnait, au Salon de 1831, comme un blasphème : « Rembrandt est peut-être un bien plus grand peintre que Raphaël » ? À plus de quatre-vingts ans d’intervalle, après avoir traversé la galerie du duc d’Orléans, les collections Villot et Khalil Bey, ce drame pittoresque ne nous impose plus la même angoisse qu’aux jeunes lectrices sentimentales de Walter Scott, traduit par Defauconpret ; mais la page de Quentin Durward, où « le Sanglier des Ardennes », avec ses vassaux casqués, mêle le sang d’un vieillard au vin