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périssable ; Anvers humanise le drame de la croix : ne lui demandez jamais le pathétique linéaire et romain d’un Spozalizio ; Rubens à vu l’Italie, mais est resté à Bologne, puisqu’il ne cesse pas d’être lui-même au pied du Calvaire, où sa fougue naturaliste anime tout, même le silence. Et comme l’éclat de ce vermillon qui rehausse le profil rose de la jeune figure de saint Jean vient accentuer à propos, comme la sonorité d’un cuivre dans la grave mélancolie des basses, la funèbre atmosphère et le jour un peu lunaire de la scène, le gris-bleu d’une draperie tragique sous le ciel couvert, la double lividité de la douleur prête â défaillir et d’un beau corps exsangue que la nuit du sépulcre attend ! Par la couleur, sinon par l’ordonnance, le Christ pleuré par les Saintes Femmes est proche parent du Christ à la paille qu’on admire au musée d’Anvers.

Si Rubens domine sans effort la riche patrie flamande des Brueghel et de Jordaens, l’évocateur des Trois Parques, qui suivit sa trace, — Rembrandt reste un phénomène lumineux dans la Hollande paisible de son aîné de neuf ans, Thomas de Keyser. Portraitiste sobre et simple, comme la nature même, des bons bourgeois d’Amsterdam, Franz van Limborck et sa femme, Thomas de Keyser auprès de Rembrandt, c’est la conscience auprès du génie ; et rien ne surpasse, ici-bas, le scrupule d’un regard de peintre en présence de la réalité, si ce n’est l’éclair du génie qui la transfigure : Rembrandt van Ryn est le sorcier du moulin paternel, qui fit resplendir obscurément son humble entourage à la lueur de son âme. Encore cet avenant portrait de fillette au teint vermeil, connue sous le nom de la Sœur de Rembrandt, n’appartient-il pas à l’heure farouche de son grand parti pris que Waagen appelait son « âge d’or » : ce sourire annonce une œuvre de jeunesse qu’il faut sans doute situer aux environs de 1633 ; mais la facture de la collerette et des cheveux, la chaude fraîcheur du regard, les roses de la joue présagent tout l’avenir du magicien familial dont la vision ne doit jamais séparer la réalité du rêve. Achetée à Londres, vers la fin du XVIIIe siècle par le baron Nagel van Ampden, de La Haye, et gravée en rapide croquis par M. Bracquemond pour le catalogue de la collection San Donato (1868), comme le vaste Rubens et deux portraits minutieux de Mieris, cette aimable image du printemps de la vie a reçu le no 15 dans le Supplément de Smith.