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pieuses. Du milieu de la rivière, j’en aperçois une multitude. Elles ne remuent guère, et je ne les entends pas parler. Elles regardent, pensives et recueillies, l’eau brillante, les caïques vernis, les robes claires et les ombrelles, et le lointain velouté des bois…[1] »

Les Vieux Turcs peuvent accepter sans arrière-pensée l’hommage de leur ami, car, en les portraiturant, il a mis une coquetterie vraiment touchante à les préserver de tout contact qui eût pu leur déplaire. A part quelques paquebots ancrés devant Stamboul, rien, en effet, dans les paysages et les scènes de la rue que Lunois a rapportés de Turquie, rien n’évoque, à aucun moment, le voisinage de la vie moderne, rien ne donne à entendre que Péra est si proche et que ces placides bonshommes, aux visages barbus sous le fez ou le tarbouch, sont les derniers survivants d’un monde qui va disparaître. Tous ceux que nous rencontrons dans ces aquarelles et dans ces pastels ont conservé leur vêtement national, et, quant aux femmes, elles ne sont pas de celles qui ont transformé le voile du petché en élégante voilette, ni le traditionnel manteau à collet, ou tcharchaf en coquet mantelet à capuce, signé d’un bon faiseur de la rue de la Paix ; mais pour combien de temps encore gardent-elles leur costume de « désenchantées » ?

Eheu ! fugaces labuntur anni…
émile dacier



  1. Cl. Farrère, l’Homme qui assassina.