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N’est-ce pas qu’il est très joli, cet « envoi » mélancolique et reconnaissant, aux premières pages d’un catalogue éphémère ? Et n’est-ce pas qu’il nous change de ces préfaces dithyrambiques, où des journalistes à l’enthousiasme facile assènent aux peintures qu’ils ont mission de présenter des éloges formidables dont, bien souvent, elles ne se relèvent pas ?

Aujourd’hui que les œuvres un moment réunies sont de nouveau dispersées, ces quelques lignes de dédicace ont gardé toute leur émotion ; il suffit de les relire pour que s’évoque le vieil Orient, que la ville merveilleuse se dresse dans son prestigieux amphithéâtre et resplendisse dans sa lumière incomparable. Du haut d’un cimetière aux stèles penchantes, on revoit la Corne d’Or, toute bleue, avec Stamboul étagée en face, — toits rouges, sombre verdure, minarets blancs fusant vers un ciel d’opale ; on revoit les mosquées, le saint cimetière d’Eyoub, les marchés, les échoppes du quartier de Galata aux ruelles en escaliers, et les petits cafés sur les places tranquilles, ombragées de platanes, ou bien en terrasse au-dessus du Bosphore ; on revoit les forêts de mâts du Port au bois, les voiliers et les paquebots enveloppés d’une brume dorée, les caïques effilés qui se balancent sur leurs amarres ; et aussi les tisseuses et les raccommodeuses de tapis dans leurs ateliers silencieux, les teinturiers étalant au soleil leurs étoilés éclatantes, les gitanes aux visages fermés qui ont fait leur nid dans les remparts croulants de la ville, les dames turques assises par groupes chatoyants dans la prairie des Eaux-Douces… Ah ! les Eaux-Douces ! La musique des descriptions de Claude Farrère et de Loti ! « Les deux rives sont devenues des prairies en pente, toutes plantées d’arbres merveilleux, platanes, cèdres, chênes, saules, cyprès hauts comme des flèches de cathédrale. Et sous ces ombrages, plus riches en verts de toutes nuances et de toutes valeurs qu’une toile de Corot, j’aperçois quantité de femmes turques assises par groupes sur l’herbe. Leurs robes de soie unie ou moirée, couleur de rose, de jasmin, de mauve, de bluet, de pivoine, de bouton d’or, de jonquille, de violette, de pervenche ou de pensée, sont comme de grandes fleurs éclatantes qui pavoisent les prés. Et c’est tout à fait joli, ces femmes fleurs éparses sous les arbres. Les dames turques campagnardes s’habillent d’une grande pièce de soie qui les enveloppe de la nuque aux chevilles, et leurs cheveux se cachent dans de petits capuchons de la même soie, si bien que toutes ressemblent aux Saintes Vierges des images