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et pittoresque, nomme ou pouvait s’y attendre : mais c’est le portrait d’une certaine Turquie seulement, presque tout entière enclose dans le vieux Stamboul, « la ville des minarets et des dômes, la majestueuse et l’unique, l’incomparable encore dans sa décrépitude sans retour, profilée hautement sur le ciel, avec le cercle bleu de la Marmara fermant l’horizon[1] »…

Ah ! elles ne sont pas « jeune Turquie » pour une piastre, les études d’Alexandre Lunois ! Aussi, en orientaliste sincèrement épris de l’Orient, en artiste amoureux du passé qui s’en va, il a voulu en faire hommage aux derniers Vieux Turcs ; et voici la charmante préface qu’il avait écrite à l’intention de ses amis de là-bas, pour le catalogue de sa récente exposition :

C’est à vous, que j’ai rencontrés dans les cafés de Stamboul, dans les anciens quartiers de Scutari, à l’ombre de la Mosquée Verte de Brousse, sous les mûriers d’Anatolie, Vieux Turcs qui portez encore le turban et le costume pittoresque de vos ancêtres, que je dédie ces études.

Grâce à vous, j’ai pu voir ce qui reste encore de charmant dans ce pays, où bientôt il n’y aura plus que les minarets et les faïences des mosquées pour rappeler à l’Occidental que nous sommes ici en terre d’Islam.

Le Progrès, ou ce qu’on nomme ainsi, s’est abattu sur vous. Vous autres le subissez avec résignation, et, témoins impassibles, vous voyez disparaître tout ce qui jadis faisait votre gloire et votre orgueil.

Nous avons passé ensemble bien des heures délicieuses a regarder, à Stamboul, le soleil se lever sur la campagne d’Asie et ensanglanter, à son déclin, les cyprès d’Eyoub. A Brousse, je vous ai rencontrés plus nombreux, commentant la danse sacrée des derviches ou bien savourant le philosophique narghilé, près des sources de Bonnar-Bachi, en face de l’Olympe bithynien. Et vous m’avez conduit dans les mosquées saintes, dans les turbés vénérés où reposent les glorieux ancêtres. J’ai vu les cigognes construire leurs nids sur vos maisons, sur vos minarets, se promener dans vos jardins et recueillies, quand elles sont blessées, par de pauvres savetiers qui les soignent et les guérissent.

Scènes curieuses et touchantes de l’ancienne vie ottomane, — je n’ai pu m’empêcher de les noter au gré des heures colorées !… Le progrès les guette. Bientôt, hélas ! elles ne seront plus qu’un souvenir dans la mémoire charmée des artistes et des vieux croyants.

Musulmans, mes amis, pardonnez-moi d’avoir enfreint votre loi très sage, en peignant vos femmes assises sur les rives du Bosphore. Je n’ai qu’une excuse. — la crainte de ne plus les retrouver demain, vêtues du machlack éclatant, sous les ombrages des Eaux-Douces.

  1. Lotti, Les Désenchantées.