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Pour le moment, le plus beau pays du monde, c’est la Turquie. Voilà deux ans, Lunois ne devait qu’y passer : il y resta plusieurs mois, n’en revint que dans l’intention d’y retourner bien vite, et il y retourna, en effet, pour y séjourner presque toute l’année dernière. C’est une partie des études recueillies au cours de ce voyage qu’il rassemblait naguère en une petite exposition.

Tel nous le connaissions et tel nous l’avons retrouvé dans la trentaine de cadres qui renfermaient ses impressions de Turquie. Aujourd’hui peintre, pastelliste et aquarelliste, maniant l’eau-forte sans renoncer à la pierre lithographique qui lui a valu ses premiers succès, il a multiplié ses moyens d’expression, en même temps qu’il renouvelait sans cesse son observation, comme s’il eût voulu n’être jamais désarmé devant la nature et pouvoir recourir d’instinct au procédé le plus expressif. Il a le sens le plus affiné de la composition, et tout ce qu’il peint d’après nature s’impose aussitôt par la ligne, avant même de séduire par la couleur ; on a le sentiment que les choses doivent se présenter nécessairement ainsi, que l’artiste est allé directement à la seule place convenable pour les voir sous le meilleur angle et qu’il s’est mis à les peindre aussitôt sans aucun effort ni aucun tâtonnement. Il possède aussi cette acuité de vision du véritable caractériste, grâce à laquelle il distribue à chaque pays son atmosphère propre, comme à chaque individu son type individuel ; chez lui, les prairies les plus ensoleillées de Norvège n’ont pas le même éclat que les campagnes d’Anatolie, les femmes de Lofthns ne ressemblent point aux danseuses de Séville, ni les pêcheuses de Volendam aux juives d’Oran. Elles ne se ressemblent point d’abord, à cause du costume, toujours très curieusement étudié dans les œuvres de Lunois. Mais qu’on n’aille pas croire que les costumes et les accessoires suffisent à différencier les personnages de ce microcosme : les caractères ethniques, eux aussi, sont saisis sur le vif et fidèlement notés en quelques traits de crayon.

Et maintenant, supposez l’artiste débarquant à l’entrée de la Corne d’Or et dites si, avec de tels moyens et après sa longue et intime fréquentation des Musulmans d’Afrique, il ne réunit pas le rare ensemble des qualités nécessaires à qui veut non seulement comprendre la Turquie, mais encore en retracer le portrait.

Certes, le portrait que Lunois a donné de la Turquie est à la fois exact